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lettre a m. d’alembert

au chant de chaque bande. Celle des vieillards commençaient la première, en chantant le couplet suivant :

Nous avons été jadis
Jeunes, vaillants et hardis.

Suivait celle des hommes, qui chantaient à leur tour en frappant de leurs armes en cadence :

Nous le sommes maintenant,
A l’épreuve à tout venant.

    tous amis, ils sont tous frères, la joie et la concorde règnent au milieu d’eux. Tu es Genevois ; tu verras un jour d’autres peuples ; mais, quand tu voyagerais autant que ton père, tu ne trouverais jamais leurs pareils. »

    On voulut recommencer la danse, il n’y eut plus moyen ; on ne savait plus ce qu’on faisait, toutes les têtes étaient tournées d’une ivresse plus douce que celle du vin. Après avoir resté quelque temps encore à rire et à causer sur la place, il fallut se séparer : chacun se retira paisiblement avec sa famille ; et voilà comment ces aimables et prudentes femmes ramenèrent leurs maris, non pas en troublant leurs plaisirs, mais en allant les partager. Je sens bien que ce spectacle dont je fus si touché serait sans attrait pour mille autres ; il faut des yeux faits pour le voir, et un cœur fait pour le sentir. Non, il n’y a de pure joie que la joie publique, et les vrais sentiments de la nature ne règnent que sur le peuple. Ah ! dignité, fille de l’orgueil et mère de l’ennui, jamais tes tristes esclaves eurent-ils un pareil moment dans leur vie ?