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julie ou la nouvelle héloïse

d’homme pour celle qui aime : son amant est plus, tous les autres sont moins ; elle et lui sont les seuls de leur espèce. Ils ne désirent pas, ils aiment. Le cœur ne suit point les sens, il les guide ; il couvre leurs égarements d’un voile délicieux. Non, il n’y a rien d’obscène que la débauche et son grossier langage. Le véritable amour, toujours modeste, n’arrache point ses faveurs avec audace ; ils les dérobe avec timidité… Sa flamme honore et purifie toutes ses caresses.

…Les vertus qu’on a réellement périssent-elles sous les mensonges d’un calomniateur ? les injures d’un homme ivre prouvent-elles qu’on les mérite ? et l’honneur du sage serait-il à la merci du premier brutal qu’il peut rencontrer ? Me direz-vous qu’un duel témoigne qu’on a du cœur, et que cela suffit pour effacer la honte ou le reproche de tous les autres vices ? Je vous demanderai quel honneur peut dicter une pareille décision, et quelle raison peut la justifier. A ce compte, un fripon n’a qu’à se battre pour cesser d’être un fripon ; les discours d’un menteur deviennent des vérités sitôt qu’ils sont soutenus à la pointe de l’épée ; et si l’on vous accusait d’avoir tué un homme, vous en iriez tuer un second pour prouver que cela n’est pas vrai. Ainsi, vertu, vice, honneur, infamie, vérité, mensonge, tout peut tirer son être de l’événement d’un combat… ; il n’y a d’autre droit que la force, d’autre raison que le meurtre ; toute la réparation due à ceux qu’on outrage est de les tuer, et