Page:Rolland - Pages immortelles de J. J. Rousseau.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
jean-jacques rousseau

la réponse qui lui venait à la question posée, mais, à la suite, comme si l’écluse était ouverte, tout un torrent de « grandes vérités », qui devaient être la substance de toute son œuvre à venir. Ce choc lui avait révélé son être vrai.

Il était dans des conditions exceptionnelles pour ressentir le malaise social, qui couvait, à cette époque. Il n’appartenait pas au milieu français et parisien, à ce régime de monarchie absolue, tempéré par le relâchement des mœurs et par l’ironie, où les écrivains les plus indépendants, les Encyclopédistes, s’étaient arrangés pour vivre, en profitant des abus mêmes qu’ils battaient en brèche. Il avait vécu ses trente premières années dans une atmosphère heureuse et engourdie de petit chemineau suisse, qui fait l’école buissonnière, dégagé des contraintes sociales et des lois. Il en avait été d’autant plus sensible à l’oppression morale et presque physique du monde factice et enfiévré des lettres et de la cour, à Paris. Intimidé d’abord et suffoqué, il avait refoulé en lui ses sentiments de souffrance, de révolte et de dégoût. Mais ces sentiments s’étaient amassés. Et voici qu’ils faisaient explosion ! Il découvrait, d’un coup, le mal social, — la corruption et l’iniquité de la société. Et le retentissement inouï de son premier cri lui révéla sa mission, dont il n’avait jamais eu jusqu’alors aucune connaissance.

Car le succès avait dépassé, et de très loin,