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rêveries du promeneur solitaire

même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes, agités de passions continuelles, connaissent peu cet état, et, ne l’ayant goûté qu’imparfaitement durant peu d’instants, n’en conservent qu’une idée obscure et confuse qui ne leur en fait pas sentir le charme.

…Il faut que le cœur soit en paix, et qu’aucune passion n’en vienne troubler le calme. Il y faut des dispositions de la part de celui qui les ressent ; il en faut dans le concours des objets environnants. Il n’y faut ni un repos absolu, ni trop d’agitation, mais un mouvement uniforme et modéré, qui n’ait ni secousses ni intervalles. Sans mouvement la vie n’est qu’une léthargie. Si le mouvement est inégal ou trop fort, il réveille ; en nous rappelant aux objets environnants il détruit le charme de la rêverie, et nous arrache d’au dedans de nous, pour nous remettre à l’instant sous le joug de la fortune et des hommes et nous rendre au sentiment de nos malheurs. Un silence absolu porte à la tristesse. Il offre une image de la mort : alors le secours d’une imagination riante est nécessaire et se présente assez naturellement à ceux que le Ciel en a gratifiés. Le mouvement qui ne vient pas du dehors se fait alors au dedans de nous.