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du contrat social

l’acception, il n’a jamais existé de véritable démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques, et l’on voit aisément qu’il ne saurait établir pour cela des commissions, sans que la forme de l’administration change.

D’ailleurs, que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce gouvernement ! Premièrement un état très petit, où le peuple soit facile à rassembler, et où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres : secondement, une grande simplicité de mœurs qui prévienne la multitude d’affaires et les discussions épineuses : ensuite, beaucoup d’égalité dans les rangs et dans les fortunes, sans quoi l’égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l’autorité : enfin, peu ou point de luxe ; car, ou le luxe est l’effet des richesses, ou il les rend nécessaires, il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité ; il ôte à l’état tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion.

Ajoutons qu’il n’y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique ou populaire, parce qu’il n’y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance et