Page:Rolland - Salut à la révolution russe.djvu/26

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Ô Russie
À l’heure la plus amère de la nuit
Quand la tourmente nous emporte tous
Sur la folie des vagues, sous le noir du ciel,
À l’heure où nous désespérons,
Ceux même qui n’avaient désespéré jamais.
Où nous nous couchons sur le bois du radeau à la dérive
Pour ne plus voir et ne plus savoir,
À l’heure où nos mains et nos âmes
Et nos bouches même ont le goût du sang.

Ô Russie, toi qui es dans l’abîme le plus profond de la nuit.
Toi dont nous avons, et de toi aussi, de toi d’abord désespéré,
Ô Russie, voilà que tu te dresses là-bas,
Jeune, libre, les bras tendus,
Vierge avec ton sourire de ciel et de neige.
Là-bas dans la grande lumière boréale.

Comme tu viens tard, ô délivrée ;
Comme tu viens tard, libératrice !
Vois, il n’y a plus de neige ici et plus de terre,
Vois, il n’y a plus qu’une boue poissée de sang.
Vois, l’herbe de mars ne pousse plus.
Et tous ces corps saignés et glacés,
Et toutes ces âmes, vois,
Tu viens bien tard.