Page:Rolland - Vie de Beethoven.djvu/104

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Mais quelle humiliation, quand il y avait quelqu’un près de moi, et qu’il entendait au loin une flûte, et que je n’entendais rien, ou qu’il entendait le pâtre chanter et que je n’entendais toujours rien[1] ! De telles expériences me jetèrent bien près du désespoir : et peu s’en fallut que moi-même je ne misse fin à ma vie. — C’est l’Art, c’est lui seul, qui m’a retenu. Ah ! il me semblait impossible de quitter ce monde avant d’avoir accompli tout ce dont je me sentais chargé. Et ainsi je prolongeai cette misérable vie, — vraiment misérable, — un corps si irritable, que le moindre change-

  1. Je voudrais, à propos de cette douloureuse plainte, exprimer une remarque, qui, je crois, n’a jamais été faite. — On sait qu’à la fin du second morceau de la Symphonie pastorale, l’orchestre fait entendre le chant du rossignol, du coucou, et de la caille ; et on peut dire d’ailleurs que la Symphonie presque tout entière est tissée de chants et de murmures de la Nature. Les esthéticiens ont beaucoup disserté sur la question de savoir si l’on devait ou non approuver ces essais de musique imitative. Aucun n’a remarqué que Beethoven n’imitait rien, puisqu’il n’entendait rien : il recréait dans son esprit un monde qui était mort pour lui. C’est ce qui rend si touchante cette évocation des oiseaux. Le seul moyen qui lui restât de les entendre, était de les faire chanter en lui.