Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/215

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nouvelle a des parties de tout premier ordre et, malheureusement, un dénouement absurde : Un propriétaire campagnard, qui a eu des relations avec une jeune paysanne de son domaine, s’est marié et a pris soin (car il est honnête et il aime sa jeune femme) d’écarter la paysanne. Mais il l’a « dans le sang », et il ne peut la voir sans la désirer. Elle le recherche. Il finit par la reprendre ; il sent qu’il ne pourra plus s’arracher à elle : il se tue. Les portraits de l’homme, bon, faible, robuste, myope, intelligent, sincère, travailleur, tourmenté, — de sa jeune femme romanesque et amoureuse, qui l’idéalise, — de la belle et saine paysanne, ardente et sans pudeur, — sont des chefs d’œuvre. Il est fâcheux que Tolstoy ait mis plus de morale dans la fin de son roman qu’il n’en a mis dans l’histoire vécue : car il a eu réellement une aventure analogue.

La lumière luit dans les ténèbres, drame en cinq actes, présente bien des faiblesses artistiques. Mais, lorsqu’on connaît la tragédie cachée de la vieillesse de Tolstoy, qu’elle est émouvante cette œuvre qui, sous d’autres noms, met en scène Tolstoy et les siens ! Nicolas Ivanovitch Sarintzeff est parvenu à la même foi que l’auteur de Que devons-nous faire ? et il essaie de la mettre en pratique. Cela ne lui est point permis. Les larmes de sa femme (sincères ou simulées ?) l’empêchent de quitter les siens. Il reste dans sa maison, où il vit pauvrement et fait de la menuiserie. Sa femme et ses enfants continuent de mener grand train et de donner des fêtes. Bien qu’il n’y prenne point part, on l’accuse d’hypocrisie. Cependant, par son influence morale, par le simple rayonnement de sa personnalité, il fait autour de lui des prosélytes — et des malheureux. Un pope, convaincu par ses doctrines, abandonne l’église. Un jeune homme de bonne famille refuse le service militaire et se fait envoyer au bataillon de discipline. Et le pauvre Sarintzeff-Tolstoy est déchiré par le doute. Est-il dans l’erreur ? N’entraîne-t-il pas les autres inutilement dans la souffrance et dans la mort ? À la fin, il ne voit plus d’autre solution à ses angoisses que de se