Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/46

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Et si cette pudeur n’enlève rien de sa force au réalisme du récit, le choix des personnages montre assez les sympathies de l’auteur. L’épopée de Malakoff et sa chute héroïque se symbolisent en deux figures touchantes et fières : deux frères, dont l’un, l’aîné, le capitaine Kozeltzov, a quelques traits de Tolstoï[1] ; l’autre, l’enseigne Volodia, timide et enthousiaste, avec ses fiévreux monologues, ses rêves, les larmes qui lui montent aux yeux pour un rien, larmes de tendresse, larmes d’humiliation, ses transes des premières heures qu’il passe au bastion (le pauvre petit a encore la peur de l’obscurité, et, quand il est couché, il se cache la tête dans sa capote), l’oppression que lui cause le sentiment de sa solitude et de l’indifférence des autres, puis, quand l’heure est venue, sa joie dans le danger. Celui-ci appartient au groupe des poétiques figures d’adolescents (Pétia de Guerre et Paix, le sous-lieutenant d’Incursion) qui, le cœur plein d’amour, font la guerre en riant et se brisent soudain, sans comprendre, à la mort. Les deux frères tombent frappés, le même jour, — le dernier jour de la défense. — Et la nouvelle se termine par ces lignes, où gronde une rage patriotique :

L’armée quittait la ville. Et chaque soldat, en regardant Sébastopol abandonné, avec une amertume

  1. « Son amour-propre se confondait avec sa vie ; il ne voyait pas d’autre alternative : être le premier, ou se détruire… Il aimait à se trouver le premier parmi les hommes auxquels il se comparait. »