Page:Rolland Clerambault.djvu/28

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(la liberté était vieux jeu, dans ces démocraties !) On se faisait gloire d’être un des globules de sang, que charrie le fleuve — les uns disaient : de la race, les autres : de la Vie universelle. Ces belles théories, dont les habiles surent extraire des recettes d’art et de pensée, étaient dans toute leur fleur, en 1914.

Elles avaient ravi le cœur du naïf Clerambault. Rien ne s’accordait mieux avec son cœur affectueux et son incertitude d’esprit. À qui ne se possède pas, il est bien facile de se donner. Aux autres, à l’univers, à cette Force providentielle, inconnue, indéfinissable, sur laquelle on se décharge de la peine de penser et de vouloir. Le grand courant passait ; et ces âmes paresseuses, plutôt que de continuer leur route sur la rive, trouvaient plus simple et bien plus enivrant de se laisser porter… Où donc ? Nul ne se fatiguait à y songer. Bien à l’abri dans leur Occident, il ne leur venait pas à l’idée que leur civilisation pût perdre les avantages acquis ; la marche du progrès leur paraissait aussi fatale que la rotation de la terre ; cette conviction permettait de se croiser les bras ; on s’en remettait à la Nature ; et elle, creusant son gouffre, les attendait en bas.

Mais en bon idéaliste, Clerambault regardait rarement à ses pieds. Cela ne l’empêchait point de se mêler de politique, à l’aveuglette, comme c’était la manie des hommes de lettres de son temps. Il y disait son mot, à tort et à travers : sollicité de le dire par des journalistes en mal de copie, et tombant dans leurs panneaux, se prenant candidement au sérieux.