Page:Rolland Clerambault.djvu/82

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il en faisait le sacrifice, il disposait de lui et de sa vie, sans s’inquiéter si la volonté de son fils était d’accord. Il ne s’appartenait plus, et il n’eût pu concevoir que quiconque était sien s’appartint davantage. L’obscure volonté de la fourmilière avait tout dévoré.

Pourtant, un reste d’habitude de l’esprit qui s’analyse lui faisait, à l’improviste, retrouver quelques traces de son ancienne nature : comme un nerf sensible qu’on touche, — un coup sourd, une ombre de douleur. Elle passe, on la nie…

Au bout de trois semaines, l’offensive épuisée piétinait sur les mêmes kilomètres de charnier. Les journaux commençaient à distraire l’attention, en lui offrant ailleurs une nouvelle piste. Maxime n’avait pas écrit depuis qu’il était parti. On se cherchait les raisons de patience ordinaires, que fournit l’esprit complaisant ; mais le cœur n’y croit pas. Huit jours encore passèrent. Entre eux, chacun des trois affectait l’assurance. Mais, la nuit, chacun seul dans sa chambre, l’âme criait d’angoisse. Et tout le long des heures, l’oreille était tendue, épiait chaque pas qui montait l’escalier, — les nerfs près de se rompre, au tintement de la sonnette, au frôlement d’une main qui passait près de la porte.

Les premières nouvelles officielles des pertes commençaient d’arriver. Dans plusieurs familles amies des Clerambault, on connaissait déjà ses morts et ses blessés. Ceux qui avaient tout perdu enviaient ceux dont les aimés, saignants, mutilés peut-être, leur seraient du moins rendus. Plusieurs s’enveloppaient