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le théâtre du passé

sique était un genre populaire. Examinons donc ce succès. — « L’épreuve tentée, à Ba-ta-clan, écrivait naguère M. Larroumet, champion de M. Bernheim, a été d’une évidence radieuse. Andromaque a excité un enthousiasme inouï. Le peuple (3.000) spectateurs) n’a pas perdu un détail de l’action, un mot du dialogue. Oui, l’élégance de Racine, son choix de mots, sa généralité de termes, le fondu de sa couleur, il a saisi et senti les nuances de tout cela. »[1]

Je vois mal, pour ma part, « le peuple (3.000 spectateurs) » appréciant « le choix des mots » et « le fondu de la couleur » de Racine, à la façon d’un professeur de rhétorique. Qui veut trop prouver ne prouve rien. — Soyons plus méfiants, et voyons dans quelles conditions eut lieu la représentation. Pour cette fois, ce ne fut pas un journaliste anticlérical, qu’on chargea de présenter Racine au peuple, ce fut un avocat d’assises. Pourquoi un avocat ? Le critique du Temps nous l’apprend :

« Maître Félix Decori, le célèbre avocat d’assises, de par sa profession devait voir juste dans l’art de Racine. Il n’y a pas un sujet de Racine qui ne reparaisse à chaque page dans la Gazette des Tribunaux. Pour Andromaque en particulier, le sujet n’est autre chose qu’un crime passionnel. L’aventure d’Oreste et de Pyrrhus, d’Hermione et d’Andromaque se ramène à ceci : une femme se venge de l’homme qu’elle aime, qui ne l’aime pas, et qui aime une autre femme, en faisant tuer cet homme par un homme dont elle est aimée, qu’elle n’aime pas et auquel elle se promet. Maître Decori n’a eu qu’à prendre dans ses souvenirs de la barre pour

  1. Le Temps, 27 octobre 1902.
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