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LE DRAME ROMANTIQUE

Dumas père, en le rajeunissant par une pointe d’argot à la mode. Mais ce poète brillant et funambulesque, ce gavroche du romantisme, — malgré ses retentissants essais dramatiques, ou plutôt à cause d’eux, — n’est qu’un auteur comique qui se fourvoie dans le drame. L’auteur du Prince Long-Nez et de son escorte de d’Artagnans, du clown Flambeau dit Flambard, de l’incroyable Metternich, commissaire et diable de Guignol, — amusant de verve, de calembours, de gasconnades poétiques, d’intarissable faconde, — n’a jusqu’ici touché aux sentiments tragiques que pour montrer qu’ils étaient pour lui une terre inconnue. Il y a suppléé par l’éloquente flatterie des sentiments de la populace : le chauvinisme fanfaron de l’Aiglon, ou la dévotion demi-mondaine de la Samaritaine. Il a réussi. Le succès, pour certains, répond à tout. Je veux croire que lui-même a de l’art de plus nobles mesures. Qu’il prenne donc garde. Le succès l’a séparé de la vie. Il ne la voit plus qu’à travers une rhétorique vide. — Je regrette de l’attaquer. Il est une force ; et toute force, fût-ce une force verbale, ou d’images, ou de gaieté, est digne de sympathie : nous n’en manquons pas pour lui. Mais puisqu’il ne met pas cette force au service de la vérité, nous le combattons comme un danger public. — Il n’est pas donné à tout le monde d’être un danger public ! — Combien de poètes pensent avoir bien mérité de la patrie, parce qu’ils ont chanté l’héroïsme, le dévouement, le sacrifice ! Mais si l’on n’y a cru que des lèvres, et non du cœur, — si l’on n’y a vu que des mots qui sonnent allègrement, et non de sérieuses et difficiles réalités, — si l’on y a cherché son succès personnel et non le bien des autres, — on a avili l’héroïsme, le dévouement et le sacrifice, on ne

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