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le théâtre du passé

parfois de l’irritation qu’elles causent à certains auditeurs. Il y a des explications qui humilient : on n’y prend pas assez garde. Rien ne fait plus souffrir un homme du peuple que d’être traité en enfant, ou de le croire, que de sentir chez le lecteur bourgeois une condescendance protectrice à se mettre à son niveau.[1] C’est le défaut ordinaire de ces lectures. L’esprit de l’auditoire y est comme un enfant qu’on habitue à marcher. Au théâtre, on le laisse aller seul, et faire ses premiers pas : il n’est rien de si efficace. Le théâtre est un exemple vivant, contagieux, irrésistible. Il est enveloppé de gloire. C’est un champ de bataille, où les âmes sont lancées en pleine action, à la suite des héros, aspirant à leur ressembler. Seule l’éloquence de la tribune peut produire de tels effets ; les lectures ne le peuvent point. Elles parlent aux sens à travers un écran ; elles s’adressent à l’intelligence ; elles ont peur de la vie physique. Sotte timidité. Il faut veiller au contraire à enrichir l’énergie physique du peuple, cette précieuse force matérielle, support de toute notre civilisation. La supériorité du théâtre est de prendre hardiment les instincts, et de les sculpter dans le vif. — Certes il est bon de tâcher de perfectionner l’homme, malgré sa nature, par l’effort de sa raison. Mais il est mieux de faire appel directement à la nature ; car l’homme vraiment grand est celui qui est grand par nature, comme sans y songer, avec un généreux et puissant abandon.

  1. Pour des raisons semblables, j’ai vu des auditoires populaires honteux et blessés de s’entendre lire les contes de Perrault, que l’on imagine maladroitement devoir convenir au peuple, parce qu’ils en sont sortis, — tandis qu’ils ne sont plus aujourd’hui qu’un jeu pour des sceptiques.
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