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le théâtre du passé

En fait, ce n’était pas le peuple qui remplissait la jolie salle du Trianon : c’était un public bourgeois, dont l’élégance eût fait envie à l’Odéon. On me dira qu’il est souvent difficile de distinguer à son costume un ouvrier parisien d’un bourgeois. Je le veux bien ; mais il m’est difficile de croire qu’un ouvrier se mette, le soir, en redingote et en chapeau haut de forme, pour aller au théâtre ; or cet uniforme de la bourgeoisie se voyait de l’orchestre aux galeries, et jusqu’aux dernières places. Fait caractéristique d’ailleurs : les places à 3 francs et à 2 francs 50 étaient remplies ; les places à 1 franc étaient presque vides.

Messieurs et dames se lorgnent avec leurs jumelles en attendant le lever du rideau, qui tarde, comme il convient. La conférence obligée commence vers 9 heures ; le spectacle, vers 9 heures et demie ; il est coupé de deux longs entr’actes, et se termine à minuit moins le quart. — Rien de plus populaire, comme on voit, et de mieux combiné en vue du travail du lendemain.

Après la conférence d’un monsieur en habit noir, et le couplet de règle en l’honneur du cardinal de Richelieu et de la Compagnie. — je veux dire de M. Adrien Bernheim et de son Œuvre, — la Comédie française joua le Misanthrope. Le choix de cette pièce pour une représentation populaire m’avait particulièrement attiré. Le Misanthrope est, pour ainsi dire, le Canard sauvage de Molière, l’œuvre pessimiste et ironique, où le grand homme, las de sa lutte contre le monde, après avoir satirisé les autres, se déchire lui-même de ses propres railleries. J’eusse été fort curieux de voir l’effet d’une telle œuvre sur le peuple ; mais de peuple, point. À son défaut, j’observai « l’aristocratie » du quartier. Elle

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