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LES PRÉCURSEURS

étendu que celui de l’univers », mais qui fût aussi « un tableau moral » : car le premier devoir du poète dramatique était, disait-il, « d’influer sur les mœurs de ses concitoyens ». Prêchant d’exemple, il écrivit des drames historiques, politiques et sociaux : Jean Hennuyer, évêque de Lisieux, où il montrait un apôtre de la tolérance, à l’époque de la Saint-Barthélemy ; la mort de Louis XI, roi de France ; la Destruction de la Ligue ; Philippe II, roi d’Espagne (1785).

À la suite de Mercier, d’autres écrivains français reprirent l’idée d’un théâtre national, c’est-à-dire s’adressant à toute la nation. Bernardin de Saint-Pierre, dans sa Treizième Étude de la Nature, appelle de ses vœux un Shakespeare national, qui présenterait au peuple assemblé les grandes scènes de la patrie ; et il lui propose d’avance le sujet de Jeanne d’Arc.

Je voudrais,

dit-il, après avoir tracé d’une façon rapide et déclamatoire la scène de Jeanne d’Arc sur le bûcher.

Je voudrais, je voudrais que ce sujet, traité par un homme de génie, à la manière de Shakespeare, qui ne l’eût certainement pas manqué, si Jeanne d’Arc eût été anglaise, produisit une pièce patriotique, que cette illustre bergère devint parmi nous la patronne de la guerre, comme sainte Geneviève l’est de la paix ; que son drame fût réservé pour les circonstances périlleuses où l’État peut se rencontrer ; qu’on en donnât alors la représentation au peuple, comme on montre à celui de Constantinople, en pareil cas, l’étendard de Mahomet ; et je ne doute pas qu’à la vue de son innocence, de ses services, de ses malheurs, de la cruauté de ses ennemis, et de l’horreur de son supplice, notre peuple, hors de lui, ne s’écriât : « La guerre, la guerre contre les Anglais ! »

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