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LES PRÉCURSEURS

qui rattachaient à la jeune pensée révolutionnaire de la France celui que la Convention fit citoyen français, — celui qui fut, en quelque sorte, le plus grand poète de la Révolution, comme Beethoven en fut le plus grand musicien, — l’auteur des Brigands (1781–2), écrits In tyrannos (contre les tyrans), — de Fiesque, « tragédie républicaine » (1783–4), — de Don Carlos (1785), où il avait voulu représenter, dit-il, « l’esprit de liberté en lutte avec le despotisme, les chaînes de la sottise brisées, les préjugés de mille années de date ébranlés ; une nation qui réclame les droits de l’homme ; les vertus républicaines mises en pratique… » ;[1] — le sublime poète de l’Ode à la Joie (1785), ivre de liberté, d’héroïsme et d’amour fraternel.[2]

« Le théâtre, avait dit Mercier, est le moyen le plus actif et le plus prompt d’armer invinciblement les forces de la raison humaine, et de jeter tout à coup sur un peuple une grande masse de lumière. »

  1. Huitième lettre sur Don Carlos, 1788.
  2. Goethe resta beaucoup plus éloigné de l’esprit révolutionnaire, bien qu’on en puisse trouver un instant l’influence dans son Egmont (1788), qui meurt en disant : « Peuple, défends tes biens ! Pour sauver ce que tu as de plus cher, tombe avec joie, comme je t’en donne ici l’exemple. » — Mais l’homme qui aimait mieux l’injustice que le désordre, et qui parodia la Révolution dans le Citoyen général (1793) et les Exaltés (1793), était évidemment peu fait pour concevoir un art du peuple.

    Et pourtant, à la fin de sa vie, ces idées pénètrent même en lui. On en trouve quelques traces dans ses conversations avec Eckermann. « Un grand poète dramatique, qui est fécond, et qui anime toutes ses œuvres d’une noble pensée, peut arriver à faire de l’âme de ses œuvres l’âme du peuple. Cela mériterait bien la peine d’être

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