Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/111

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l’objet de son drame musical n’est pas une conception du monde, mais purement et simplement l’homme. Le cadre du drame wagnérien est la légende, et son personnage, le héros, être symbolique et général où s’incarnent l’esprit d’une race et les puissances d’un système philosophique. L’opéra de Monteverde, comme la tragédie de Racine, est parfumé du pur sentiment grec. Son héros est celui d’Aristote, l’homme moyen et pondéré, dont le cœur est parent du nôtre. Le surnaturel n’est pas de son domaine. On le voit aux intelligentes critiques que Monteverde fait des livrets qu’on lui soumet. — Qu’est-ce que cette pièce de « Peleo e Tetide, favola marittima? » — Une fantasmagorie, des cortèges de monstres, des chœurs de tritons et de sirènes, des vents, des « amoretti » et des « zeffiretti. » « Et comment est-il possible que ces hippogriffes et ces chimères remuent les passions? L’Ariane émeut parce qu’elle est une femme; l'Orphée, parce qu’il est un homme. Un monstre, un vent ne peuvent émouvoir. L’Ariane me fait gémir ; l'Orphée me fait prier; mais à quoi rime cette pièce? 11 n’y a rien là pour la musique (I). » Un musicien français du dix-septième siècle , un romantique du dix-neuvième, eût saisi avidement un sujet de ce genre qui prête aux jeux descriptifs et aux curiosités pittoresques. Monteverde le rejette; il dédaigne la description extérieure; il ne s’en sert que comme d’un accessoire. En vrai poète du dix-septième siècle, le cœur humain seul l’intéresse; et, refusant le sujet de « Thétis, » il s’attache au sujet si touchant d’ « Alceste et Admette (2). »’ Les souffrances attirent son art compatissant, art mélancolique et délicat comme celui dos Grecs, qui se plaît aux larmes et à la douleur, mais recule devant les situations trop violentes (3), et refuse le Narcisse de Rinuccini, parce qu’il est trop

(1) « Li venti hanno a cantaro, cioè li Zeffiri e li Borcali; come, caro Signore, potrô io imitare il parlar di venti se non parlano? Et come potrô io con il mezzo loro movere li affetti? Mosse l’Arianna per essore donna, et mosse panmente Orfeo per esser homo, et non vento. Le armonie imittano loro medesime et non con l’oratione et li strepiti de’ venti, et il bellar délie pécore, il nitrir de’ cavalli, et va discorendo, ma non imitano il parlar de’ venti che non si trovi... L’Arianna mi porta ad un giusto lamento et l’Orfeo ad una giusta preglriora, nia questa non so a quai fine; sichè, che vole V. S. Ill raa che la musica possa in questa?... » (Lettre du 9 décembro 1G16, Arch. Gonzaga.)

(2) Hiver 1616. A Mantoue.

(3) « Et più con fine tragico et mesto. » (7 mai 1627.)

Même préoccupation dans Marco de Gagliano qui, après le succès de son Medoro à Florence, le retouche pour Mantoue et change les chœurs, de