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142 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

L'autre scène a une grandeur dramatique qu'on n'eût pas attendue du sujet.

La Vie s'est laissé entraîner. Elle est déchirée de remords, trop faible et trop lasse pourtant pour revenir seule au bien. Elle cherche son fidèle ami, son guide sûr, l'Entendement; mais la Goulpe et le Plaisir ont achevé sa ruine. L'Entendement erre fol et stupide; à peine brillent en lui quelques étincelles endormies de son clair esprit. Dans une scène d'angoisses bien exprimées, la la Vie et la Raison se cherchent désespérément et s'appellent sans se voir. Enfin, elles se rencontrent (1). La Vie se jette dans ses bras; mais la Raison ne la reconnaît plus. Elle se désespère; elle parle follement, passant par bonds sauvages, de la torpeur stu- pide aux réveils orgueilleux :

« Quoi donc! on me pose des limites, à moi, à moi! des bornes. Ne suis-je pas moi, ne suis-je pas la Raison? Ne suis-je pas libre peut-être, et maîtresse de moi ? Ne puis-je me gouverner comme il me plaît ? »

Vie : « Ah ! quelle étrange folie ! Malheur à moi ! Est-ce là la Raison? Est-ce là? Je reste confondue. »

Entendement : « La Raison , c'est moi. »

Elle chante et pleure tour à tour. Elle écoute et n'écoute plus.

Vie : « Si ton amour pour moi s'en est allé de toi, au moins dis-moi pourquoi, pourquoi? »

Raison : « Je ne sais pas. »

Vie : « Tandis que je te supplie, pourquoi refuses-tu de me répondre? »

Raison : « Je ne sais pas. »

La Vie pleure tendrement sur son amie. La Raison semble un instant émue, puis la repousse avec dureté :

« C'est toi qui es folle, et non pas moi. »

Vie : « mon amie! autrefois si bienfaisante, aujourd'hui si cruelle , tu me dédaignes donc ? »

Raison : « Je te méprise, je me méprise, je méprise la lumière du jour. Que dis-tu? Que veux-tu de moi? Qui t'amène? Va-t-en, éloignez-vous de vous de moi; qu'en proie à son martyre, mon âme oublie tout le reste... Arrête. Où vas-tu? Oh! que je ne te laisse pas errer parmi ces dangers... Ecoute mes conseils... Qui m'aide, hélas! qui m'aide? »

On sent là de la grandeur et une puissance dramatique, que malheureusement le musicien n'a pas su faire valoir. Marazzoli

(1) Acte II, scène 10.

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