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162 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

une litière avec des mulets ; un chariot , traîné par des bœufs ; des jeunes filles turbulentes et rieuses ; des bourgeois qui par- lent d'affaires ; des diseurs de bonne aventure ; le narnese (char- latan), monté sur ses tréteaux, fait acheter son latuario (élec- tuaire), en présageant aux mères d'affreuses maladies pour leurs bébés. La foule regarde, s'amuse et bavarde. Des jeunes gens font un pas de ballet. Un cavalier, en dansant, frappe rudement un chien ; le propriétaire se fâche ; on se menace ; les épées sor- tent du fourreau. Un duel s'engage ; le sang coule. Le soleil s'éteint à l'horizon, versant sur ce peuple agité, les flots puis- sants et limpides de sa sérénité. La poésie s'unit à la peinture, et l'auteur sait heureusement mêler les impressions lyriques de son cœur au spectacle de la. vie réelle.

Si réussie que soit la scène, si puissamment qu'elle témoigne de l'étonnante aptitude des Italiens à manier les foules, les chœurs, le Peuple au théâtre (1), la langue musicale n'est pas assez souple et variée. Les accents individuels de chacun des personnages, ou des groupes de personnages, sont vivants et bien saisis. Il manque l'ampleur vibrante, et le frémissement de vie de l'orchestre. Le protagoniste de ce genre était un peu grêle pour soutenir ce rôle. C'était un Monteverde (2) , ou un Gavalli (3), et non un Marazzoli, qu'il eût fallu pour réussir.

En revanche, son talent ingénieux, tout de conversation et d'esprit mondain, le rendait propre avant tout autre, à tenter

��(1) C'est un génie que l'Italie n'a jamais perdu (Voir les finales de l'opéra italien, de Guillaume Tell, des opéras-bouffes de Rossini, etc.). Il est fâcheux que ses poètes et ses librettistes n'y appliquent pas leur talent, au lieu de s'épuiser à créer des caractères qu'ils ne réussissent pas à rendre profonds et forts , ou de s'exprimer eux-mêmes , ce qui n'est pas très intéressant. Ils ont d'instinct le sens du Peuple, des passions collectives. Des hommes qui vivent toute leur vie au grand air, en communion de pensée, en réson- nance de sentiment avec les autres, ont une supériorité native sur les races du Nord, pour porter sur la scène ou dans leurs livres, le spectacle des peuples et les grands mouvements des foules. Ils devraient le remarquer. — Mais je ne doute pas qu'ils ne l'aient fait (Voir leurs drames modernes; et, pour ne parler que de l'opéra, c'est surtout par les ensembles que valent les pièces de Verdi, et tout dernièrement, de Mascagni et de Leoncavallo).

(2) Monteverde a d'ailleurs touché légèrement, en passant , au comique, dans Vlncoronazione di Poppea (1642). Parmi les tragédies de la pièce, le Page (Valletto) et la Damoiselle (Damigella) chantent leur petit amour gra- cieux et railleur. Le Page interroge la fillette sur le trouble amoureux qu'il éprouve, comme un Chérubin, point sentimental, et très bien dé- niaisé. — Acte II, se. 3 et 4.

(3) Pour Cavalli, qui effleura aussi l'opéra-bouffe, voir plus loin.

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