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L OPÉRA EN FRANCE. 229

soleil (1). Ils sentent difficilement que ces orages sont intérieurs , car ils ne les éprouvent pas; et s'ils les éprouvaient , ce n'est pas de leur cœur que jailliraient les harmonies, mais de leur tête in- telligente, de leur esprit logique et curieux. Ils ont l'haleine courte ; les meilleurs , comme Berlioz , l'ont saccadée. « Le génie italien est inépuisable pour inventer ; celui des Français est assez étroitement borné (2). » Il est timide, assujetti aux rè- gles ; il est trop rarement enivré pour oser contre le bon sens. Il n'y a d'ailleurs qu'une poignée de musiciens en France. « Nous n'avons qu'un Lully , et il était Italien. L'Italie en est pleine. On y a vu les Luigi, les Carissimi, les Melani, les Legrenzi ; à ceux-ci ont succédé les Scarlati, les Buononcini, les Corelli, et les Bassani qui vivent encore. En France, il n'y en a qu'un à la fois; il faut un siècle entier pour le produire; encore déses- père- t-on que tous les siècles ensemble produisent jamais un se- cond Lully. »

Aussi savants que les maîtres étrangers, doués de cette rare élégance qui est le privilège de la France et qu'elle imprime à

��(1) Les rares œuvres de Beethoven , qui ont une intention franchement descriptive, gardent pourtant le caractère d'impressions personnelles et morales, plutôt que de descriptions objectives. (« Erwachen heiterer Emp- findungen bei der Ankunft auf dem Lande. ») Beethoven a écrit sur le verso de la partie du premier violon :'« S'attacher plus à l'expression du sentiment qu'à la peinture musicale. » — Ries, disciple de Beethoven, nous dit même que la musique imitative avait en lui un adversaire déterminé; il no se traçait de scénarios que pour s'exciter à de certaines émotions. Une fois la symphonie écrite, il ne permettait plus à ses amis, ni à lui-même, de rechercher quelles causes extérieures avaient amené la suite des senti- ments. Le monde de l'âme devait se suffire à lui-même.

J'ai entendu raconter, par des amis intimes de Wagner, que souvent il s'approchait d'eux pendant les représentations de Bayreuth, et leur cou- vrait les yeux de ses mains, pour qu'ils s'abandonnassent tout entiers à la pure musique, sans y chercher un reflet de l'action.

Il est remarquable qu'un des musiciens les plus descriptifs, (semble-t-il), de l'Allemagne, l'auteur du Songe d'une nuit d'été, de Meeresstille, de Mé- lusine, Mendclssohn, est un ennemi décidé de ce genre, et que cette antipathie le rend très injuste pour Berlioz, et même pour Schubert. « Mettre en musique un poème descriptif me semble absurde, » écrit-il à M me de Percira. « La foule de compositions qui existent en ce genre ne prouve pas contre moi, mais pour moi, attendu qu'il n'en est pas uno que l'on puisse de bonne foi appeler bonne. » Il critique vertement le Iioi des Aunes, de Schubert, où « il essaie do rendre le bruissement des aunes, les cri» du bambin, le galop du cheval, et tout ce fatras d'imitation matérielle, » ...« l'addition toute factice d'une peinture grossière. »

('2) Ragucnet, Parallèle, etc.

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