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12 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

elle se réveille avec une nouvelle ardeur. Dans l'éclat du triomphe où le génie de Wagner a porté le drame musical, la critique in- soumise, fatiguée des attaques vaines contre l'artiste, dirige plus loin ses coups et sape par sa base l'art même qu'il repré- sente. On se tromperait sans doute, si l'on y voyait l'indice d'une réaction prochaine contre le genre de l'opéra. De tout temps en France, l'opinion des gens de lettres a été, pour la plupart, fran- chement hostile au théâtre de musique. De tout temps aussi, ce- lui-ci a eu pour lui la faveur du public, la mode si l'on veut, mais une mode constamment renouvelée, et qui ne s'est pas dé- mentie un instant depuis deux siècles. Les amateurs peuvent donc se rassurer. L'opéra n'est pas encore près de disparaître.

On ne saurait pourtant négliger l'opinion d'une littérature telle que celle do Louis XIV. Il y a toujours à apprendre en elle, et ses erreurs mêmes sont instructives ; elles renferment toujours une grande part de vérité. Assurément, il ne faut pas oublier la tentation naturelle à tout esprit libre, de rester à l'écart des engouements de la mode et de prendre le contre- pied des enthousiasmes de la foule. Il faut y voir aussi l'étonne- ment et le mépris de penseurs volontaires, dont le travail con- stant a été de n'admettre dans leur cerveau et dans leur art que des idées claires, des sentiments précis en leur subtilité, d'un exact contour, d'un mécanisme raisonné. Ils se sentent perdus dans cet art d'idées obscures et de sentiments impalpables qui s'évanouissent au jour des mots. Aussi le traitent-ils de sensua- lité vide (1), sans songer que ces sonorités qui caressent l'oreille sont le moyen et non le but ; et ils voient le hasard du plaisir où règne la raison la plus rigoureuse et l'exacte analyse des senti- ments. Mais en dehors de ces antipathies naturelles, ils ont assez bien vu les lois des genres que l'on voulait unir dans le drame lyrique, et leurs contradictions, ou les dangers de leur assemblage.

Je passerai rapidement sur le chef d'immoralité que les lettrés les plus soucieux comme les moins occupés de la morale repro- chent à l'opéra. C'est le grand procès, non pas de l'opéra, mais de l'art tout entier. L'art, et surtout le théâtre, par la surexcitation qu'il apporte à la passivité humaine, peut être un agent aussi puissant du mal que du bien. L'opéra, par sa complète prise de possession, est le plus redoutable des spectacles. De son origine

(1) La Poésie : Quoi ! par de rains accords et des sons impuissants, Vous croyez exprimer tout ce que je sais dire ? Etc.

(Boileau, Prologue d'opéra.)

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