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L'OPÉRA EN FRANCE. 265

Ce n'est pas un reproche ; il faut savoir gré à Lully d'avoir été trop musicien pour sacrifier la beauté de son chant aux vers de Quinault; c'est bien plutôt de ne pas l'avoir été assez, que nous le blâmerons. Il fallait s'affranchir davantage du teste, et laisser librement s'épancher l'émotion musicale, contrainte par la gêne du vers. Il lui était d'autant plus facile d'être libre, que dans la collaboration du poète et du musicien, toute la servitude était pour Quinault ; Lully dictait ses lois, du droit de son génie et de son caractère dominateur (1).

S'il ne l'a pas fait, c'est un peu par habileté politique, pour flatter le goût d'un public ami des moyens termes et des révolu- tions sensées, qui veut comprendre le sens des paroles, s'amuse râleur demi justesse de notation, sans pousser l'examen bien à fond, et préférant en somme l'agrément de la phrase mélodique à sa justesse. Mais c'est bien plus encore parce que la nature du génie de Lully n'a ni l'emportement, ni la sève des Vénitiens et des Allemands. Nul écart d'imagination ; nulle prodigalité; une sage richesse, économe de ses dons. Nulle trace de lyrisme ; à peine la musique laisse-t-elle entrevoir de temps en temps l'émo- tion personnelle de l'auteur; il ne cherche jamais à colorer l'âme du héros des reflets de sa propre vie. On ne sent pas chez lui cet impérieux besoin de soulager son cœur, de crier dans son œuvre les passions qui le tourmentent, cette caractéristique des artistes de race.

Mais après les défauts, il faut dire les qualités; et elles sont

��(1) « Le grand homme (Quinault) qu'il (Lully) tenait à ses gages. » ^Rousseau.)

« Lully connaît mieux les passions et va plus avant dans le cœur de l'homme que les auteurs. » Seul des musiciens, il a le dioit de commander au poète. Les autres musiciens « doivent recevoir des auteurs les lumières que Lully leur sait donner... » (Saint-Evremond.)

« Quinault, qui était son poète, dressait plusieurs sujets d'opéra. Lui et Lully les portoient au Roy qui en choisissoit un. Alors Quinault écrivoit un plan du dessein et de la suite de sa pièce; il donnoit une copie de ce plan à Lully, et Lully, voyant de quoy il étoit question en chaque acte, quel en étoit le but, préparoit à sa fantaisie des divertissements, des danses et des chansonnettes de bergers, de nautonniers, etc. Quinault composoil ces scènes. Aussitôt qu'il en avoit composé quelques-unes, il les montroit à l'Académie françoisc dont il étoit. Lully examinent mot par mot cette poésie déjà revue et corrigée, dont il corrigeoit encore et rctranchoit la moitié, lorsqu'il le jugeoit à propos; et point d'appel do sa critique. Dans Phuètoii, il le renvoya vingt fois changer des scènes entières approuvées par l'Aca- démie françoisc » (Nicolas Boindin, Lettres historiques sur tous les */" , - tacles de Paris. Paris, P. Prault, 1719.)

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