Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de l'union de la musique et du drame. 17

que pour l'art de sou temps. Qui ne sent aujourd'hui le pouvoir illimité de la musique à peindre les passions? Au dix-septième siècle, sa langue n'avait point toutes les souplesses de la nôtre; elle était de cœur timide; et, à peine échappée de l'église et des salons, elle n'avait pas encore pris conscience de sa force. Mon- teverde nous dira son profond étonnement, en voyant qu'il y a des contrées de l'âme que la musique n'a jamais explorées; elle se plaît à la douleur et à la tendresse, aux sentiments tristes et tem- pérés, et ne s'est jamais aventurée dans l'action. Monteverde tra- vaillera victorieusement à lui montrer son pouvoir, et elle com- mençait à peine à en avoir idée à l'époque de Boileau ; mais qu'eût dit ce dernier, s'il avait pu entendre un art comme celui de Bee- thoven, tout rempli d'un sentiment héroïque, et où il n'y a pres- que point place pour l'amour? Par un revirement singulier, c'est à la musique seule que revient aujourd'hui le droit de « faire parler les héros et les dieux. »

• *

Les véritables critiques, durables et profondes, ne s'attaquent pas tant aux divers éléments de l'opéra, qu'à leur assemblage, à cette forme de drame, où tant de langues diverses, peut-être tant de pensées contraires, cherchent à s'unir.

« L'opéra, » dit Saint-Evremond (1), « est un travail bizarre de poésie et de musique, où le poète et le musicien, également gênés l'un par l'autre, se donnent bien de la peine à faire un méchant ouvrage. »

La dualité des personnes n'est ici que d'un faible argument. Le génie viril et complet trouvera toujours en lui la force d'être son poète et son musicien tout ensemble (2) ; et pour les talents plus féminins et proprement musicaux , il leur suffit de l'amour, de l'abandon de soi aux passions qui les prennent, de cette sym- pathie vibrante qui est le propre du lyrique, pour recréer les

��Mais quand je fais parler les héros et les dieux,

Vos chants audacieux Ne me sauraient prêter qu'une cadence vaine.

(Prologue d'opéra.)

(1) Lettre au duc de Buckingham.

(2) Que l'on n'objecte pas trop la difficulté do réunir en soi les qualités du poète et colles du musicien. Elles ne sont peut-être pas d'un ordre aussi différent que celles du poète et de l'auteur dramatique, que nous sommes habitués à voir constamment associés.

2

�� �