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34 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

des musiciens à tenir la porte close à la parole chantée. Cepen- dant ils étaient dans leur droit. Purement musiciens, les préoc- cupations empruntées aux autres arts les touchaient peu. La symphonie avec chœurs leur donnait toute satisfaction possible. N'est-ce pas l'instrument le plus parfait que puisse désirer la musique? Ils pouvaient avec elle, rendre toutes les nuances, toutes les passions. Tout ce qu'il y a de musical dans la nature pouvait se refléter dans cette masse mouvante d'harmonies, n'obéissant qu'à ses propres lois. Il ne s'agissait que d'en per- fectionner encore les moyens, de chercher des timbres, des com- binaisons , des sonorités nouvelles, d'enrichir l'orchestre, d'as- souplir la polyphonie, de rendre plus humain et plus vivant le monstre. Pourquoi auraient-ils dû sacrifier ces richesses à la vanité d'un chanteur, qui se satisfaisait après tout, dans leurs madrigaux, de difficultés vides de sens? Quel intérêt y avait-il à renoncer aux multiples voix de leur âme , pour suivre en une imitation factice l'accent et la déclamation d'une parole médio- cre ou d'une poésie inférieure à la leur? Que leur faisait surtout une antiquité, dont on attestait les oracles contestables et les exemples inconnus? Ne valait-il pas mieux être de son temps , et dire ce que l'on sentait, sans forcer sa nature?

Aussi voyons-nous les vrais artistes résister au mouvement nouveau, jusqu'à l'apparition de Monteverde, dont le génie per- sonnel décide de la victoire. Ils sont d'ailleurs trop vivants pour ne pas être pénétrés du souffle moderne ; ils sont ennemis des abstractions et épris de la réalité. Leur principal intérêt histori- que est justement dans ces efforts intelligents et quelquefois heureux , pour concilier les besoins de leur temps avec la tradi- tion. Venise et le nord de l'Italie (Mantoue , Modône) restent le centre de ces purs musiciens, qui tâchent d'appliquer la polypho- nie vocale au mouvement dramatique et à l'expression de la nature.

Giovanni Groce, Ghiozotto (de Ghioggia) , maître de chapelle à Saint-Marc de Venise , met en scène , avec une verve réaliste et comique , les masques du carnaval vénitien , — Pêcheurs , Ma- gnifiques, Buranelle, Furlani, Lenguazi, Donne Pitoche, etc. (1).

Alessandro Striggio de Mantoue (2), l'un des premiers musi-

��(1) Mascarade piacevoli et ridicolosi per il Carnevale, à 4, 5, 6, 7, 8 voix, lib. I. Vineenti, 1590. 1604.

Parties des C. A. B., 5, 6, à la Bibl. S. Cecilia, Rome.

(2) Il resta à la cour des Médicis de 1560 à 1586 ou 1590. Il jouit d'une très

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