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LE MADRIGAL DRAMATIQUE. 53

autres, toscan; et les Juifs, hébreu macaronique. Je ne parle pas des défauts de prononciation et des infirmités physiques, du bégaiement de Pantalon, du charivari du Ghetto, des intonations de la synagogue. Plus d’une scène rappelle par sa verve la bouffonnerie rossinienne; et plus d’une, par sa hardiesse, la maîtrise de Wagner. L’auteur de l’Italienne à Alger eût souri de reconnaître quelques-uns de ses procédés dans le dialogue entre la moqueuse Isabelle et le capitan Cardone (1), quand détaillant ses beautés, il lui demande avec fatuité : « A qui sont ces beaux yeux, — ces belles mains, — cette bouche? » et qu’elle répond : « au capitan Cardone. » Beckmesser n’est pas bien loin non plus de Gratian estropiant sur son luth un madrigal de Cyprian de Rore, dont le texte sentimental se déforme burlesquement dans sa bouche doctorale (2). Mais surtout le charivari des Juifs, où les voix criardes et grondeuses, les chants religieux, le vacarme de Francatrippa qui s’impatiente à la porte, se fondent en un joyeux et savant ensemble (3), rappelle les tours de force de la polyphonie moderne.

Les scènes d’amour et de tristesse ne sont pas moins distinguées; elles sont surtout remarquables par le mouvement dramatique , qui modèle la musique sur les gestes et les émotions ; la déclamation en est d’une sobre et précise justesse, et la phrase est souvent pure et touchante. J’en donnerai surtout pour exemple la scène où Isabella, sur le point de se tuer, passe par tous les sentiments d’amour, depuis le désespoir jusqu’aux transports de joie (4). Elle est d’une grande délicatesse de cœur, et elle vit véritablement.

Pour la poésie (5), son charme est un peu précieux, sa bonne humeur un peu grossière; nous ne la concevons guère sans la musique , et il nous est ^difficile de comprendre qu’elle ait pu être imprimée à part , plus de cinquante après (6). Il faut y voir une preuve de l’immense popularité de l’auteur.

(1) Amfiparnaso, acte II, se. 3.

(2) Amfiparnaso , acte III, se. 2. — L’analogie est encore plus frappante dans la Pazzia senile de Danchieri (partie II, ragion. 3; partie III, ragion. 1), où l’on dirait que Wagner a non seulement puisé la situation, mais le souvenir des vers burlesques chantés par Beckmesser, et jusqu’à certains dessins de guitare.

(3) Amfiparnaso, acte III, se. 3.

(4) Amfiparnaso, acte II, se. 5.

(5) J’insisterai sur ce fait que tous les livrets de Vecchi sont de sa composition.

(G) Li disperali contenti, comedia piacevole del signor Horatio Vecchi,

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