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74 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

point. Je croirais volontiers que Péri avait le goût difficile, et un respect de son art, qui le rendait plus dédaigneux que de raison pour les musiciens médiocres. Il fut, en revanche, tout dévoué à Monteverde, et il y avait quelque mérite; car il vit préférer Y Ariane à sa Teti (faite en collaboration avec Gini), en 1608, à Mantoue (1). 11 se montre plus empressé encore à servir Gagliano. Il admire sans réserve ses œuvres, et les préfère aux siennes propres (2). Il se dévoue à leur étude , les dirige en l'absence de l'auteur (3), et dans tous ses rapports avec lui , fait preuve d'un désintéressement absolu. Il se peut d'ailleurs que dans d'autres circonstances, Péri ait montré une certaine dureté orgueilleuse et méprisante. Il traitait son génie comme un hôte que l'on reçoit avec des égards. Gela est naturel. Le caractère et le génie sont

(1) « Quelle cose di Monteverde sono ammirate da tutti universalmente, e dal Zazzerino fuor di modo » (Rinuccini, 24 juin 1610. Florence. — Arch. Gonzaga.)

(2) « La Dafne fatta recitare da V. Ecc. 111. arricchita dallo stesso Rinuc- cini di nuove invenzioni, e composta dal Sig. Marco (da Gagliano), con in- finito gusto al pari di ogni altra e d'avantaggio, poichè tal modo di canto è slato conosciuto più proprio e più vicino al parlare che quello di qual- cun altro valent' huomo. » (8 avril 1608. Péri au card. Ferd. Gonzaga. — Arch. Gonzaga.)

(3) Gagliano retenu à Mantoue, était cependant contraint à faire jouer de la musique à S. Lorenzo de Florence. Péri se charge de tout pour lui :

« Poichè V. Ecc. Ill ma mi comanda ch' io eserciti le musiche del Signor Marco da Gagliano, et in particoliire quelle che cantano soli, stia per sicura ch' io non manchorô d' ogni diligcnza, e lo custodirô come le mie proprie, e dica pure al Signor Marco che se ne stia con l'animo quieto, che qui el suo servizio non patirà, et in vero che V. Ecc. Ill ma non poteva raccoman- darle a suggetto che vedessi le cose del Signor Marco con più affezione di me. » (10 mars 1608. Péri au card. Ferd. Gonzaga. — Arch. Gonz. Cité par Davari.)

On pourrait même trouver que Péri se départ un peu trop de sa réserve habituelle, quand il s'agit des grands seigneurs.

« Le giuro in verità che quella : « Chi da lacci d'Amor, » mi è parsa tanto vagha e nuova, che mi ha fatto sdimenticar la mia, che pur ci havevo den- tro qualche effetto, sendomi stata più volte assai commendata : ma spo- gliàto d' interesse, giudico e confesso, esser questa di V. Ecc. Ill ma assai più bella. » (23 avril 1608. Id.) (à propos d'airs composés pour Dafné par le car- dinal Gonzaga.)

Les hommes du dix-septième siècle, les plus francs et le plus vraiment artistes , ont deux poids et deux mesures , selon qu'il s'agit de juger les grands seigneurs ou les gens de leur classe. Je crois qu'il ne serait pas très intelligent d'en rire. Ils étaient sincères dans cette foi, comme nous le som- mes encore, involontairement, en jugeant diversement les mêmes actes de courage et de bonté, ou les mêmes productions littéraires, chez un homme comme nous, ou chez un souverain.

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