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VIES DES HOMMES ILLUSTRES

une lâcheté. Il n’y a qu’un héroïsme au monde : c’est de voir le monde tel qu’il est, — et de l’aimer.

Le tragique du destin que je présente ici, c’est qu’il offre l’image d’une souffrance innée, qui vient du fond de l’être, qui le ronge sans relâche, et qui ne le quittera plus avant de l’avoir détruit. C’est un des types les plus puissants de cette grande race humaine, qui, depuis dix-neuf siècles, remplit notre Occident de ses cris de douleur et de foi : — le chrétien.

Un jour, dans l’avenir, au fond des siècles, — (si le souvenir de notre terre s’est encore conservé), — un jour, ceux qui seront se pencheront sur l’abîme de cette race disparue, comme Dante au bord de Malebolge, — avec un mélange d’admiration, d’horreur et de pitié.

Mais qui le sentira mieux que nous, qui avons été mêlés, enfants, à ces angoisses, — qui avons vu s’y débattre les êtres qui nous sont le plus chers, — nous, dont la gorge connaît l’odeur âcre et enivrante du pessimisme chrétien, — nous à qui il a fallu faire, certains jours, un effort pour ne pas céder, comme d’autres, dans les moments de doute, au vertige du Néant Divin !

Dieu ! Vie éternelle ! Refuge de ceux qui ne réussissent point à vivre ici-bas ! Foi, qui n’es bien souvent qu’un manque de foi dans la vie, un manque de foi dans l’avenir, un manque de foi en soi-même, un manque de

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