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AMOUR

point. La crise religieuse par laquelle passait la marquise de Pescara les rompit brusquement. En 1541, elle quitta Rome, pour s’enfermer dans un cloître, à Orvieto, puis à Viterbe.

Mais souvent elle partait de Viterbe, et elle venait à Rome, uniquement pour voir Michel-Ange. Il était épris de son divin esprit, et elle le lui rendait bien. Il reçut d’elle et garda beaucoup de lettres, pleines d’un chaste et très doux amour, et telles que cette âme noble pouvait les écrire.[1]

Sur son désir, ajoute Condivi, il exécuta un Christ nu, qui, détaché de la croix, tomberait comme un cadavre inerte, aux pieds de sa sainte mère, si deux anges ne le soutenaient par les bras. Elle est assise sous la croix ; son visage pleure et souffre ; et, les deux bras ouverts, elle lève les mains au ciel. Sur le bois de la croix, on lit ces mots : Non vi si pensa quanto sangue costa[2]. — Par amour pour Vittoria, Michel-Ange dessina aussi Jésus-Christ en croix, non pas mort, comme on le représente d’habitude, mais vivant, le visage tourné vers son Père, et criant : « Eli ! Eli ! » Le corps ne s’abandonne pas, sans volonté ; il se tord et se crispe dans les dernières souffrances de l’agonie.

Peut-être Vittoria a-t-elle également inspiré les deux dessins sublimes de la Résurrection, qui sont au Louvre et au British Museum. — Dans celui du Louvre,

  1. Condivi. — Ce ne sont pas, à dire vrai, les lettres que nous avons conservées de Vittoria, et qui sont nobles sans doute, mais un peu froides. — Il faut penser que de toute cette correspondance, nous ne possédons plus que cinq lettres, d’Orvieto et de Viterbe, et trois lettres, de Rome, entre 1539 et 1541.
  2. Ce dessin, comme l’a montré M. A. Grenier, fut la première image inspiratrice des diverses Pietà, que Michel-Ange sculpta plus tard : celle de Florence (1550–1555), la Pietà Rondanini (1563), et celle, récemment retrouvée, à Palestrina (entre 1555 et 1560). — Se rattachent encore à cette conception, des esquisses, à la Bibliothèque d’Oxford, et la Mise au Tombeau de la National Gallery.

    Voir A. Grenier : Une Pietà inconnue de Michel-Ange à Palestrina, Gazette des Beaux-Arts, mars 1907. — On trouvera dans cet article les reproductions des différentes Pietà.

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