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AMOUR

créer sans marteau ; celui-là seul fait vivre tous les autres. Et parce que le coup qu’il frappe sur l’enclume est d’autant plus fort que le marteau se lève plus haut dans la forge, celui-là s’est levé au-dessus de moi, jusqu’au ciel. C’est pourquoi il mènera mon œuvre à bonne fin, si la forge divine lui prête maintenant son aide. Jusqu’ici, sur la terre, il était seul.[1]

L’autre sonnet est plus tendre, et proclame la victoire de l’amour sur la mort :

Quand celle qui m’a arraché tant de soupirs s’est dérobée au monde, à mes yeux, à elle-même, la nature qui nous avait jugés dignes d’elle tomba dans la honte, et tous ceux qui le virent, dans les pleurs. — Mais que la mort ne se vante pas aujourd’hui d’avoir éteint ce soleil des soleils, comme elle a fait des autres ! Car Amour a vaincu, et la fait revivre sur terre et dans le ciel, parmi les saints. La mort inique et criminelle croyait étouffer l’écho de ses vertus et ternir la beauté de son âme. Ses écrits ont fait le contraire : ils l’illuminent de plus de vie qu’elle n’en eut en sa vie ; et par la mort, elle a conquis le ciel, qu’elle n’avait pas encore.[2]

C’est pendant cette grave et sereine amitié,[3] que Michel-Ange exécuta ses dernières grandes œuvres de

  1. Voir aux Annexes, XIX. (Poésies, CI)

    Michel-Ange ajoute ce commentaire :

    « Il (le marteau : Vittoria) était seul dans ce monde pour exalter la vertu avec ses grandes vertus ; il n’y avait ici personne qui poussât le soufflet de forge. Maintenant, au ciel, il aura beaucoup d’aides ; car il n’y a là personne à qui la vertu ne soit chère. Aussi, j’espère que de là-haut viendra l’achèvement de mon être. — Maintenant, au ciel, il y aura quelqu’un pour pousser le soufflet : ici-bas, il n’avait aucun aide à la forge, où sont forgées les vertus. »

  2. Voir aux Annexes, XX. (Poésies, C)

    C’est au revers du manuscrit de ce sonnet que se trouve le dessin à la plume, où l’on prétend reconnaître l’image de Vittoria, aux seins flétris.

  3. L’amitié de Michel-Ange pour Vittoria Colonna ne fut pas exclusive d’autres passions. Elle ne suffisait pas à remplir son âme. On s’est bien gardé de le dire, par un souci ridicule d’« idéaliser »
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