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Romain Rolland

danser des rondes à ses moines autour du bûcher qui brûlait les œuvres d’art, — et où, trois ans plus tard, le bûcher se relevait pour brûler le prophète.

De cette ville et de ce temps il fut, avec tous leurs préjugés, leurs passions et leur fièvre.

Certes, il n’était pas tendre pour ses compatriotes. Son génie de plein-air, à la large poitrine, méprisait leur art de cénacles, leur esprit maniéré, leur réalisme plat, leur sentimentalisme, leur subtilité morbide. Il les rudoyait ; mais il les aimait. Il n’avait point pour sa patrie l’indifférence souriante de Léonard. Loin de Florence, il était rongé de nostalgie.[1] Toute sa vie, il s’épuisa en vains efforts pour y vivre. Il fut avec Florence, aux heures tragiques de la guerre ; et il voulut « y revenir au moins mort, puisque vivant il n’avait pu ».[2]

Vieux Florentin, il avait la fierté de son sang et de sa race.[3] Il en était plus fier que de son génie même.

  1. « Je tombe de temps en temps dans une grande mélancolie, comme il arrive à ceux qui sont loin de leur foyer. » (Lettre du 19 août 1497. Rome)
  2. Il pensait à lui-même, quand il faisait dire à son ami Cecchino dei Bracci, un des Florentins bannis, qui vivaient à Rome : « La mort m’est chère ; car je lui dois le bonheur de revenir dans ma patrie, qui, vivant, m’était fermée. » (Poésies de Michel-Ange, édition Carl Frey, LXXIII, 24)
  3. Les Buonarroti Simoni, originaires de Settignano, sont mentionnés dans les chroniques florentines, depuis le douzième siècle. Michel-Ange ne l’ignorait pas : il connaissait sa généalogie. « Nous sommes des bourgeois, de la plus noble race. » (Lettre à son neveu Lionardo, décembre 1546) — Il s’indignait que son neveu songeât à s’anoblir : « C’est ne pas se respecter, chacun sait que nous sommes de vieille bourgeoisie florentine et nobles autant que qui que ce soit. » (Février 1549) — Il essaya de relever sa race, de faire reprendre aux siens le vieux nom des Simoni,
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