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MICHEL-ANGE

et de dormir. À chaque instant, dans ses lettres, revient ce lamentable refrain :

« J’ai à peine le temps de manger… Je n’ai pas le temps de manger… Depuis douze ans, je ruine mon corps par les fatigues, je manque du nécessaire… Je n’ai pas un sou, je suis nu, je souffre de mille peines… Je vis dans la misère et dans les peines… Je lutte avec la misère… »[1]

Cette misère était imaginaire. Michel-Ange était riche ; il se fit riche, très riche.[2] Mais que lui servait-il de l’être ? Il vivait comme un pauvre, attaché à sa tâche, comme un cheval à sa meule. Personne ne pouvait comprendre qu’il se torturât ainsi. Personne ne pouvait comprendre qu’il n’était pas le maître de ne pas se torturer, que c’était une nécessité pour lui. Son père même, qui avait beaucoup de traits de ressemblance avec lui, lui faisait des reproches :

Ton frère m’a dit que tu vis avec une grande économie, et même d’une façon misérable : l’économie est bonne ; mais la misère est mauvaise : c’est un vice qui déplaît à Dieu et aux hommes ; elle nuira à ton âme et à ton corps. Tant que tu seras jeune, cela ira encore ; mais quand tu ne le seras plus, les maladies et les infirmités, qui auront pris naissance dans cette vie mauvaise et misérable, sortiront toutes au

  1. Lettres, 1507, 1509, 1512, 1513, 1525, 1547.
  2. On trouva, après sa mort, dans sa maison de Rome, 7 à 8.000 ducats d’or, évalués à 4 ou 500.000 francs d’aujourd’hui. De plus, Vasari dit qu’il avait déjà donné en deux fois à son neveu 7.000 écus, et 2.000 à son serviteur Urbino. Il avait de grosses sommes placées à Florence. La Denunzia de’ beni de 1534 montre qu’il possédait alors six maisons et sept terres, à Florence, Settignano, Rovezzano, Stradello, San Stefano de Pozzolatico, etc. Il avait la passion de la terre. Il en achetait constamment : en 1505, 1506, 1512, 1515, 1517, 1518, 1519, 1520, etc. C’était là chez lui une hérédité de paysan. D’ailleurs, s’il amassait, ce n’était pas pour lui : il dépensait pour les autres, et se privait de tout.
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