Page:Romains - Les Copains.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

trente-neuf ans, en demi-deuil, maigre et victime d’une constipation rebelle.

Bénin se sentait une âme dévorante. Elle eût absorbé, sans vomir, le groupe le plus épais et le plus trouble. Elle eût calciné la plus dure pensée d’un industriel.

Elle remuait, cherchant sa proie. Elle essayait de s’étendre hors du train, et de saisir quelque chose de la plaine. Mais le train allait trop vite, rompait les contacts.

Alors elle traita le train comme son corps. Ce bois, cette ferraille, elle les envahit, elle annexa tant de pesante matière à sa chair propre.

Il y avait environ un quart d’heure qu’on marchait lorsque le mouvement du train se ralentit. Chaque pulsation arrivait un peu en retard ; puis la machine siffla pitoyablement. Bénin eut une vraie angoisse. Il ne craignait rien, ne calculait rien ; mais il devenait tout piteux. Il ne pensait qu’à ce ralentissement ; il ne désirait qu’un élan nouveau.

Le train finit par s’arrêter. La machine siffla encore. Bénin songea qu’il avait oublié