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Adam, Les patois lorrains

présente une forme moins éloignée du latin. À cette classe appartiennent sans doute pour l’auteur les mots govion (fr. goujon), nove (fr. neige), piouve (fr. pluie), vendemayes (fr. vendanges), arpii (fr. herser), menre (fr. moindre), ségué (fr. scier), qui représentent des développements parallèles du mot latin, et peuvent en effet servir à démontrer, ce qui pour nous est bien superflu, mais ce qui ailleurs a son utilité, que les patois ne sont pas une corruption du français. Doté, au sens de « craindre », est, comme on sait, ancien français ; paume, « épi, » rattaché à pomum, « fruit, » répond à palma, et le sens d’« épi » a son origine dans la langue du moyen âge. Voici maintenant les mots latins qui auraient passé en lorrain et non en français : fagus fayisse : le mot fau, fou est connu dans toute la France, et le fr. fouteau en est dérivé ; — paxillus pehhi, c’est le fr. paisseau ; — exire euhhi, fr. issir ; — jacere jeure, fr. gésir ; — quiescere cougi : cougi représente non quiscere mais qu(i)etiare, anc. fr. coisier ; — fascia fèhhotte, a. fr. faisce ; — fervere ferbeli « blanchir les légumes », étymologie insoutenable ; — sternere hhterni, a. fr. esternir ; — lucubra loure, « veillée » ; cette étymologie est fort douteuse ; — meta mat, « but » ; mat ne peut venir de meta, anc. fr. moie ; — medietaneus mitan, mot connu par toute la France ; — resarcire rassarcie, « reprise », anc. fr. sarcir, resarcir ; — stipula steppe ; la phonétique rend cette étymologie douteuse, en tout cas éteule est français ; — aliquid ièque, anc. fr. alques ; — malum mali, « pommier » ; ce mot, recueilli dans deux communes seulement (mali, maoli), me paraît bien douteux ; — canistrum tchintré, anc. fr. canestel ; — assidetare éhhuter, anc. fr. assieuter. C’est donc une part de l’ancien vocabulaire français qui survit en Lorraine (et cette liste est bien loin de l’épuiser), comme d’autres survivent ailleurs, comme le français littéraire en a conservé d’autres qui ont disparu de tous les patois.

Le volume se termine par quelques textes. Je signalerai ceux qui ont de l’intérêt au point de vue du folk-lore, outre des proverbes assez nombreux : i, ii, vi (histoires de diable), iii (souvenirs des fées, aujourd’hui disparues, et du sotrè leur ennemi), iv (vache appartenant à des fées souterraines qui paient de vacher en charbon qui devient de l’or), v (histoire du menteur et de la rivière, voy. Hist. litt. de la Fr., xxi, 291, rapportée à saint Pierre voyageant avec le Seigneur), vii (contes du renard : le pot mangé, la queue gelée, le loup pris pour avoir trop mangé), xv (l’esprit de contradiction), xvi (la légende de saint Éloi ; c’est de beaucoup le meilleur morceau), xvii (l’œuf de cheval). Les poésies n’ont qu’un caractère semi-populaire ; nous signalerons la chanson de mensonges (cf. Rom. x, 395).

En somme, la publication de l’académie de Stanislas contient un grand nombre de faits intéressants ; elle sera utile, et elle fait honneur à la compagnie qui l’a entreprise et au savant qui l’a exécutée. Nous souhaitons que l’accueil fait à ce volume détermine l’académie à nous donner prochainement celui qu’elle nous fait espérer sur les patois du Barrois, exclus de la présente étude.

G. P.