Page:Rosenthal - La Peinture romantique, 1900.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 28 —

En 1802, Gros exposait, à la fois, le portrait de Bonaparte à Arcole ([1]) et Sapho au rocher de Leucade. Cette double exposition peut être regardée comme le symbole de son œuvre double, dont une partie releva de l’art classique, tandis que l’autre dérivait des préoccupations de la réalité présente.

De ces deux parties, la première, celle où Gros essaya de suivre les leçons de David, est caduque et l’on peut ajouter, mauvaise. Gros y consacra deux périodes qui encadrent sa carrière. Au début, avant l’Empire, avant l’heure des grands succès, il esquissa ou peignit Les Bergers d’Arcadie, Timoléon ou Sapho ; puis, après ses triomphes, lorsque la Restauration, qui exilait David, le fit le chef de l’École, pour justifier ce titre, il peignit Œdipe, Bacchus, Saül, l’Amour piqué, Acis et Galatèe enfin Hlercule et Diomède. Il ne coûte pas de reconnaître qu’en cet ordre d’inspiration, il ne s’est pas élevé au-dessus du médiocre et qu’il y a été, souvent, détestable.

Il manquait à Gros les qualités essentielles que requérait l’École. L’abstraction lui échappait : il ne voyait pas au delà des formes concrètes ; les allégories qu’il a conçues sont presque ridicules, obscures et lourdes. Il n’avait pas, non plus, le sens du nu. La pureté des lignes, la légèreté du modelé lui étaient étrangères. Il imaginait des formes massives, strapassées ([2]). Ces formes au dessin ramassé, il les matérialisait encore en les colorant, posant d’abord les tons extrêmes pour les relier ensuite par des transitions insensibles, ce qui donnait à l’œuvre un aspect boursouflé. Les plafonds du Musée Charles X, au Louvre, sont autant d’exemples de ces erreurs d’autant plus regrettables qu’elles ont absorbé, trop longtemps, l’activité de Gros et ont préparé sa triste fin. Tout cela est mort, mais l’autre partie de l’œuvre survit. Devant la postérité, Gros se présente comme le peintre le mieux doué et le plus brillant du début du siècle.

Des circonstances heureuses avaient favorisé, chez Gros, l’éclosion d’un génie indépendant. Son séjour en Italie avait été, pour lui, la meilleure des écoles. De longues années de vie aventureuse avaient effacé, au moins en partie, les traces de l’enseignement de David. Libre de toute contrainte, il s’était passionné pour les guerres de son temps.

De retour en France, la Peste de Jaffa l’avait mis au premier rang, d’une façon définitive. Acclamé par ses confrères et par le public qui s’écrasait devant la Bataille d’Aboukir (1804) ([3]) ; la Bataille d’Eylau, la Bataille des Pyra-

    chevalier de Saint-Michel. Il a exposé de 1801 à 1805. Consulter surtout : Delestre, Gros, sa vie et ses ouvrages, 1815, deuxième édition, 1885.

  1. Au Louvre, sous le n° 391.
  2. Timoléon ; les plafonds du Louvre ; Hercule et Diomède, à Toulouse. — Ce même défaut, dans des tableaux contemporains, par exemple : Le Départ de Louis XVIII ou l’esquisse de l’Incendie de Moscou.
  3. Delestre, Gros, p. 100.