Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/49

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futaie, lorsqu’il s’arrêta net : le tigre arrivait à grande allure. Il ne craignait pas que l’urus, comme le mégacéros, lui échappât à la course, mais sa déconvenue l’impatientait. À la vue du fauve, le taureau sortit de l’indécision. Comme il savait ne pouvoir compter sur la vitesse, il fit face au danger. Tête basse, creusant la terre, il fut, avec sa large poitrine rousse, ses yeux de feu violet, un beau guerrier de la forêt et de la prairie ; une rage obscure balayait ses craintes ; le sang qui lui battait au cœur était le sang de la lutte ; l’instinct de conservation se transforma en courage.

Le tigre reconnut la valeur de l’adversaire. Il ne l’attaqua pas brusquement ; il louvoya, avec des rampements de reptile, il attendit le geste précipité ou maladroit qui lui permettrait d’enfourcher la croupe, de rompre les vertèbres ou la jugulaire. Mais l’urus, attentif aux évolutions de l’agresseur, présentait toujours son front compact et ses cornes aiguës…

Soudain, le carnassier s’immobilisa. Les pattes roides, ses grands yeux jaunes fixes, presque hagards, il regardait s’avancer une bête monstrueuse. Elle ressemblait au tigre, avec une stature plus haute et plus compacte ; elle rappelait aussi le lion, par sa crinière, son profond poitrail, sa démarche grave. Quoiqu’elle arrivât sans arrêt, avec le sens de sa suprématie, elle montrait l’hésitation de l’animal qui n’est pas sur son terrain de chasse. Le tigre était chez lui ! Depuis dix saisons, il détenait le territoire, et les autres fauves, léopard, panthère, hyène, y vivaient à son ombre ; toute proie était sienne dès qu’il l’avait choisie ; nulle créature ne se dressait devant lui lorsque, au hasard des rencontres, il égorgeait l’élaphe, le daim, le mégacéros, l’urus, l’aurochs ou l’antilope. L’ours gris avait peut-être, dans la saison froide, passé par son domaine, d’autres tigres vivaient au nord, et