Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La faim le fit se tourner vers cette onde tiède qui coulait avec les entrailles du vaincu ; il s’en approcha, il la flaira : elle lui répugnait comme un venin. Impatient, il bondit sur le tigre, il lui broya les vertèbres, puis il se mit à rôder.

Le profil des pierres erratiques l’attira. Comme elles étaient à l’opposite du vent et que son odorat ne valait pas celui des loups, il avait ignoré la présence des hommes. Lorsqu’il approcha, il sut que la proie était là et l’espoir accéléra son souffle.

Les Oulhamr considéraient avec une palpitation la haute silhouette du carnivore. Depuis la fuite du mégacéros, toute la légende sinistre, tout ce qui fait trembler les vivants avait passé devant leurs prunelles. Dans le déclin rouge, ils voyaient le lion-tigre tourner autour du refuge ; son mufle fouillait les interstices ; ses yeux dardaient des lueurs d’étoiles vertes ; tout son être respirait la hâte et la faim.

Quand il arriva devant l’orifice par où s’étaient glissés les hommes, il se baissa, il tenta d’introduire la tête et les épaules ; et les nomades doutèrent de la stabilité des blocs. À chaque ondulation du grand corps, Nam et Gaw se recroquevillaient, avec un soupir de détresse. La haine animait Naoh, haine de la chair convoitée, haine de l’intelligence neuve contre l’antique instinct et sa puissance excessive. Elle s’accrut lorsque la brute se mit à gratter la terre. Quoique le lion géant ne fût pas un animal fouisseur, il savait élargir une issue ou renverser un obstacle. Sa tentative consterna les hommes, si bien que Naoh s’accroupit et frappa de l’épieu : le fauve, atteint à la tête, poussa un rauquement furieux et cessa de fouir. Ses yeux phosphorescents fouillaient la pénombre ; nyctalope, il distinguait nettement les trois silhouettes, plus irritantes d’être si proches.