Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/65

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et qu’il en jaillissait des griffes, il cessa de rôder et s’arrêta près de la carcasse du daim, dont les vautours avaient pris peu de chose. La tigresse y était déjà. Ils ne mirent guère de temps à dévorer les restes, puis le grand lion tourna vers la tigresse son crâne rougeâtre. Quelque chose de tendre émana de la bête farouche, à quoi la tigresse répondit par un miaulement, son long corps coulé dans l’herbe. Le Lion-Tigre, frottant son mufle contre l’échine de sa compagne, la lécha, d’une langue râpeuse et flexible. Elle se prêtait à la caresse, les yeux mi-clos, pleins de lueurs vertes ; puis elle fit un bond en arrière, son attitude devint presque menaçante. Le mâle gronda — un grondement assourdi et câlin — tandis que la tigresse jouait dans le crépuscule. Les lueurs orangées lui donnaient l’aspect de quelque flamme dansante ; elle s’aplatissait comme une immense couleuvre, rampait dans l’herbe et s’y cachait, repartait en bonds immenses.

Son compagnon, d’abord immobile, roidi sur ses pattes noirâtres, les yeux rougis de soleil, se rua vers elle. Elle s’enfuit, elle se glissa dans un bouquet de frênes, où il la suivit en rampant.

Et Nam, ayant vu disparaître les fauves, dit :

— Ils sont partis…, il faut passer la rivière.

— Nam n’a-t-il plus d’oreilles et plus de flair ? répliqua Naoh. Ou croit-il pouvoir bondir plus vite que le Lion Géant ?

Nam baissa la tête : un souffle caverneux s’élevait parmi les frênes, qui donnait aux paroles du chef une signification impérieuse. Le guerrier reconnut que le péril était aussi proche que lorsque les carnivores dormaient devant les blocs basaltiques.

Néanmoins, quelque espérance demeurait au cœur des Oulhamr : le Lion-Tigre et la tigresse, par leur union