Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/72

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raient la faim ; leur vie était plus misérable et plus inquiète que celle des loups.

La tigresse guérissait ; elle rampait sur la savane avec tant de lenteur et des pattes si malhabiles que Naoh ne s’éloignait guère pour lui crier sa défaite. Il se gardait de la tuer, puisque le soin de la nourrir fatiguait son compagnon et prolongeait ses absences. Et il s’établissait une habitude entre l’homme et la bête mutilée. D’abord, les images du combat, se ravivant en elle, soulevaient sa poitrine de colère et de crainte. Elle écoutait haineusement la voix articulée de l’homme, cette voix irrégulière et variable, si différente des voix qui rauquent, hurlent ou rugissent, elle dressait sa tête trapue et montrait les armes formidables qui garnissaient ses mâchoires.

Lui, faisant tournoyer sa massue ou levant sa hache, répétait :

— Que valent maintenant les griffes de la tigresse ? Naoh peut lui briser les dents avec la massue, lui ouvrir le ventre avec l’épieu. La tigresse n’a pas plus de force contre Naoh que le daim ou le saïga !

Elle s’accoutumait aux discours, au tournoiement des armes, elle fixait la lumière verte de ses yeux, déjà rouverts, sur la singulière silhouette verticale. Et quoiqu’elle se souvînt des coups terribles de la massue, elle ne redoutait plus d’autres coups, la nature des êtres étant de croire à la persistance de ce qu’ils voient se renouveler. Puisque, chaque fois, Naoh levait sa massue sans l’abattre, elle s’attendait qu’il ne l’abattrait point. Comme, d’autre part, elle avait connu que l’homme était redoutable, elle ne le considérait plus comme une proie, elle se familiarisait simplement avec sa présence, et la familiarité sans but, pour toutes les bêtes, est une sorte de sympathie. Naoh, à la fin, trouvait plaisir à laisser