Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/75

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d’herbes arrachées dans la savane. Ils posaient ces amas deux par deux, ils les retiraient à mesure : c’était un stratagème par quoi l’homme dépassait l’élaphe le plus subtil et le loup le plus sagace. Quand ils eurent franchi trois ou quatre cent coudées, ils crurent avoir assez fait pour décourager la poursuite et ils continuèrent le voyage en ligne droite.

Ils avancèrent quelque temps en silence puis Nam et Gaw s’interpellèrent, tandis que Naoh dressait l’oreille. Au loin, un rauquement avait retenti : il se répéta trois fois, suivi d’un long miaulement.

Nam dit :

— Voici le Lion Géant !

— Marchons plus vite ! murmura Naoh.

Ils firent une centaine de pas, sans que rien troublât la paix des ténèbres ; ensuite la voix tonna, plus proche.

— Le Lion Géant est au bord de la rivière !

Ils hâtèrent encore leur marche : maintenant les rugissements se suivaient, saccadés, stridents, pleins de colère et d’impatience. Les nomades connurent que la bête courait à travers leurs traces enchevêtrées : leur cœur frappait contre leur poitrine comme le bec du pic contre l’écorce des arbres ; ils se sentirent nus et faibles devant la masse pesante de l’ombre. D’autre part, cette ombre les rassurait, elle les mettait à l’abri même du regard des nocturnes. Le Lion Géant ne pouvait les suivre qu’à la piste, et, s’il traversait la rivière, il se retrouverait aux prises avec la ruse des hommes, il ignorerait par où ils avaient passé.

Un rugissement formidable raya l’étendue ; Nam et Gaw se rapprochèrent de Naoh :

— Le Grand Lion a passé l’eau ! murmura Gaw.

— Marchez ! répondit impérieusement le chef, tandis que lui-même s’arrêtait et se couchait pour mieux en-