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LA MÈRE

terrasse, plus d’intimité fine au foyer d’hiver, plus de livres, ni de voyages, ni de présent, ni d’avenir. Elle serait jusqu’à sa dernière heure celle dont la mort est attendue, celle dont la fin doit faire le bonheur de sa descendance. Était-ce encore vivre ?…

Le soir passa, minuit pleura sur Saint-François-Xavier, et Mme Ramières était toujours là, sous le bloc de la destinée. Elle attendait maintenant le retour de Louis avec un triste cœur qui s’éveillait par saccades. Lorsqu’il ouvrit la porte du corridor, elle se dressa, elle marcha à sa rencontre ; et pour avoir un baiser, un baiser franc et presque filial, elle balbutia :

— J’ai un projet, mon grand garçon, quelque chose à quoi nous n’avions pas encore songé.. Espère… et embrasse bien ta vieille maman !

Il la considéra, d’abord surpris ; mais comme tous les êtres, il était prompt à l’illusion : de songer que peut-être il aurait la fiancée et la fortune, son cœur s’enfla d’une tendresse, il rendit sans compter l’étreinte.

— Demain ! Je te dirai demain ! s’écria-t-elle en se sauvant dans sa chambre.

La porte verrouillée, en hâte, ne voulant pas perdre la tiédeur des lèvres du fils sur sa joue, elle ouvrit la petite pharmacie, elle y saisit le flacon de laudanum et, d’une grande gorgée, fit disparaître l’obstacle qui barrait la route de Louis Ramières.