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III


Devant le poste-caserne, des soldats faisaient l’exercice. En pantalon de treillis, ils répétaient des gestes automatiques et légendaires, où se retrouvait encore l’âme des vieilles armées, l’art d’agglomérer les corps et les énergies, de faire coïncider les pas, les bonds et les coups, de jeter l’épouvante par la masse et l’illusion par la cohérence. Ils esquissaient aussi quelques gestes de la guerre nouvelle qui recommence étrangement les embuscades du Scythe et du Peau-Rouge.

Ce spectacle irritait invariablement François Rougemont. C’était une indignation périodique et professionnelle, pareille, dans l’ordre des indignations, à ce que les idées générales sont dans l’ordre des idées. Elle avait quelque chose de biblique, jusque dans l’injure, car les révolutionnaires invectivent l’armée avec la véhémence, et presque le vocabulaire des prophètes anathémisant Jérusalem.

François murmura machinalement quelques épithètes, comme on réciterait un ave, tandis que le sergent criait :

— Baïonnette au canon !

Et que les soldats s’efforçaient d’atteindre une perfection automatique.

— Effrayant tout de même ! grommela Rougemont. Ces hommes-là sont-ils moins esclaves que les esclaves antiques ? N’aurait-il pas été logique, même en se plaçant au point de vue bourgeois, de rédiger un code militaire analogue au code civil ?