Page:Rostand - Discours de réception, 1903.djvu/23

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Restauration, qui ait inspiré à M. de Bornier la haute coquetterie de tordre, autour de sa couronne vicomtale, assez de lauriers pour qu’on n’en vît plus passer que les quatre perles ?

À Paris, Feuillet vient de débuter. Le Roman d’un jeune homme pauvre est déjà dans l’air. Le vicomte donne des leçons pour vivre ; le vicomte publie un volume de vers ; et comme ces Premières feuilles volent jusqu’à M. de Salvandy, le vicomte est nommé surnuméraire à la bibliothèque de l’Arsenal. Il écrit un Mariage de Luther. M. Buloz lit la pièce, décide qu’on va la jouer. On ne la jouera pas, parce qu’avant 48 elle semblait trop républicaine, et qu’après 48 elle semblait trop royaliste. Étonnante politique, dont j’espère que les poètes auront toujours le secret ! Bornier écrit une autre pièce : Dante et Béatrix, sûre, celle-là, d’être jouée. On ne la jouera pas, parce qu’après le coup d’État elle est devenue révolutionnaire, et que les vers dits par Dante exilé pourraient être dits par Victor Hugo, s’ils étaient plus sonores. Qu’importe ! une superbe attente de la gloire commence, qui durera vingt ans, et que rien ne découragera. M. de Bornier vient se loger rue du Bac, de sorte qu’il n’a que le pont à traverser pour se faire refuser ses manuscrits au Théâtre-Français ; mais, toujours, en rentrant, il voit luire son étoile dans le ruisseau de Mme de Staël. Rien n’inquiète plus son optimisme d’idéaliste intrépide. Il gardera jusqu’à la mort son enfance de cœur et son adolescence d’esprit, le romanesque élève des deux marquises !

Car il n’y a pas eu d’être plus romanesque que M. de Bornier. J’affirme que lorsque ce doux fonctionnaire trottinait sur le pavé boueux, il délivrait en rêve des