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Moi, j’élève la voix pour prendre sa défense ;
Et voulant égaler la louange à l’offense,
Chacun, au fond du cœur, m’absoudra, je le sais,
Si mon zèle m’entraîne à de pieux excès ;
Si, brûlant d’un amour dont le siècle s’étonne,
Je parle avec l’accent du rude Jacopone ;
Et, sans respect humain, disant la vérité,
Je viens heurter l’orgueil de la majorité !
L’amour a sa folie et la foi son délire ;
Le cœur bondit de joie, à l’espoir du martyre ;
Il est doux de mourir pour la cause de Dieu ;
À qui meurt pour la foi, par l’épée ou le feu,
À qui tombe martyr, l’auréole est promise ;
Par l’heureuse victime une palme est conquise ;
Et l’élu vers le ciel triomphant dans son vol,
Laisse un sang fécondant qui fait germer le sol !
Oh ! qu’il faut de courage et qu’il faut d’héroïsme,
Pour vaincre le torrent du matérialisme,
Pour remonter le cours du fleuve impétueux,
Restant calme au milieu des flots tumultueux !
J’ai vu des cœurs ardents, fatigués de la lutte,
Tomber du rang de l’ange au-dessous de la brute ;
Et n’acceptant de lois que de l’orgueil des sens,
Dériver, dans le monde, à leurs plus vils penchants !
Mais, dans ce monde athée, où la Mammocratie
Semble imposer ses lois à la hiérarchie,
Malgré tant de croyants apostats parmi nous,
De l’héroïsme encor je sens battre le pouls ;
Je sens qu’un chaste amour exalte encor les âmes,
Et qu’il brûle toujours de virginales flammes,
Et qu’il plane au-dessus des temples abattus,
L’esprit de poésie et des saintes vertus.
Oui, de l’antique foi, des vertus de nos pères,
Il reste parmi nous des cœurs dépositaires ;
Et si Dieu suscitait quelque Antoine éloquent
On verrait naître encor l’enthousiasme ardent ;
De l’Esprit adoptant la Règle Érémitique,
Des ascètes nouveaux peupleraient l’Amérique ;
Et leurs saintes vertus, embaumant nos déserts,
Seraient un contrepoids aux crimes des pervers I
Pour expier l’orgueil et l’erreur du génie,
La haine de la croix insultée et bannie,
La plainte, le blasphème et l’affreux désespoir,
Et le poison que verse un vain et faux savoir ;
Pour combattre un esprit hostile à l’équilibre,
Et les instincts fougueux d’un peuple aveugle et libre,
Et le mal que la Presse enfante chaque jour :
Il faut du juste en pleurs la prière et l’amour ;
Il faut du juste, exempt de haine et de malice,
L’héroïque martyre et l’innocent supplice ;