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Si jeune il faut entrer dans un désert aride ;
Dans un monde égoïste, où l’on marche sans guide ;
Lieu d’exil et d’épreuve, où règnent les méchants :
Lieu parsemé de croix et de cailloux sanglants :
Tous, nous avons besoin, car notre âme est aimante,
Qu’il apparaisse en nous une mystique amante ;
Qu’un radieux sourire, à ses lèvres éclos,
Nous aide à supporter, sans fléchir, tant de maux ;
Et que le soir, rentré dans notre solitude,
Nous la voyions penchée à la table d’étude ;
Qu’en elle nous trouvions, amie, épouse et sœur,
Muse à la voix sévère et pleine de douceur,
Fidèle Antonia, dont l’oreille attentive
Recueille chaque son de notre voix plaintive ;
Et qui nous consolant, sans se lasser jamais,
Unit ses doux accents à nos amers regrets. —
 Oui, voila le désir qu’à chaque heure j’éprouve ;
Voila ce que mon cœur rêve, sans qu’il le trouve :
Mais si de l’Idéal j’aperçois quelque trait,
Une ombre, un seul rayon, oh ! quel puissant attrait
Cette ombre exerce alors, quel pouvoir invincible
Attire alors mon cœur vers cet objet visible !
Le type, que mon âme entrevoyait aux cieux,
Semble avoir pris un corps pour enchanter mes yeux ;
Et devant moi posant, dans sa grâce ingénue,
Réalise à mes sens l’idéale statue !
 C’est ainsi qu’en ma course à travers le désert,
Où, pour devenir homme, il faut avoir souffert,
Un jour, parmi les traits des figures sans nombre.
Avec joie et douleur j’ai rencontré cette ombre ;
Dans un corps, que voilait un blanc tissu de lin,
De l’Idéal caché brilla l’éclat divin :
La forme est un reflet de l’Idée Éternelle ;
Et la beauté de Dieu se rend visible en elle ;
La forme vierge et sainte est le manteau royal,
Dont se pare à nos yeux l’invisible Idéal ;
Et qui, frappant nos sens pour mieux ravir notre âme,
Nous révèle le Beau dans les traits de la femme !
 Que de fois j’ai suivi, — dans mes rêves du moins, —
Sans les regards jaloux des vulgaires témoins,
Une vierge à l’œil fier, calme, noble et sauvage,
Aimant les bois, les lacs, la couche de feuillage,
La hutte de palmier sous l’harmonieux pin,
Et la source d’eau vive, et le sable argentin ;
Une vierge aussi belle et chaste que Diane,
Écartant de son arc les fleurs de la savane ;
Dans les herbes, le jour, sur les lys affaissés,
Cherchant un doux repos à ses membres lasses ;
Ou bien, rêveuse et seule, au bord d’un fleuve assise,
Dans les joncs écoutant se lamenter la brise ;