Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 187 )

Maintes fois, elle avait, de ses pieds, sans envie
Foulé le sable d’or de la Californie ;
Elle avait dédaigné chaque joyau brillant,
Moins utile à ses yeux que le silex tranchant,
Le silex d’où jaillit par le choc l’étincelle,
Et dont s’arme la flèche, à l’ennemi mortelle ;
La flèche ailée allant au loin percer l’oiseau,
En son vol, ou posé sur l’inculte arbrisseau.
Sous les rameaux croisés des bois touffus et sombres
Où les rayons pâlis luttent avec les ombres,
Pour dormir au doux bruit des flots mourants du lac
Les lianes en fleur lui formaient un hamac.
Indolente, et pourtant infatigable aux courses,
Des fleuves les plus longs elle avait vu les sources.
Remontant le grand Nil jusqu’au lac Itaska,
Elle avait traversé l’immense Nébraska,
L’Orégon, l’Iowa, les déserts sans limites,
Où seuls ont pénétré les Indiens ermites !
Elle avait parcouru, sans repos, en tout sens ;
L’infini d’étendue entre deux océans,
Où la forêt succède à la forêt plus vaste,
Où des monts la savane est l’ondoyant contraste,
Où les flots de verdure, en cercles déroulés,
Par les oiseaux brillants et les fleurs étoiles,
Offraient à ses regards, dans leur monotonie,
Le spectacle infini qu’aimait son doux génie !
Tour à tour, visitant les nomades tribus,
Ces restes malheureux de peuples disparus,
Ces guerriers indomptés, qui demandent pour vivre
L’air de la liberté, dont la douceur enivre ;
Qui, fuyant la cité comme on fuit la prison,
Pour borne insaisissable ont choisi l’horizon, —
Sur la natte elle avait dormi dans leurs cabanes,
Et suivi les chasseurs dans les vertes savanes ;
Des daims et des bisons poussant les grands troupeaux,
Sa flèche dans le nombre atteignait les plus beaux ;
Les vieux Chefs Indiens, surpris de son adresse,
En triomphe portaient la blanche Chasseresse ;
Et les femmes, cueillant des rameaux et des fleurs,
Les effeuillaient devant la Reine des chasseurs.
Chaque jour plus sauvage, heureuse et fugitive,
Elle courait de bois en bois, de rive en rive,
Laissant voler au vent son écharpe d’azur,
Et des lacs en pirogue effleurant le flot pur.
La nuit, en remontant les profondes rivières,
Qui s’écoulent sans bruit vers les ondes amères,
Des cèdres et des pins, sur l’abîme penchés,
Elle entendait tomber les rameaux foudroyés !
Des monstres entassés, des immondes reptiles,
Elle abordait sans peur les humides asiles ;