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La Conversion.

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sylvia.

 
Puisque pour le chrétien la vie est un combat,
Notre plus forte armure est dans le célibat ;
Affranchi de la chair, heureux le vierge athlète,
L’ange contemplatif qui vit dans la retraite ;
Heureux l’homme de Dieu !…
Heureux l’homme de Dieu !…Mon Père, écoutez-moi ;
En toute humilité, je m’accuse avec foi ;
Devant vous, devant Dieu, je m’accuse, ô mon Père : —
De mes jours douloureux que l’histoire est amère !
Le malheur m’arracha de mon humble berceau,
Placé près d’un grand fleuve et d’un faible ruisseau ;
Le steam-boat mugissant me prit, — si frêle encore, —
Et promena mon sort du Couchant à l’Aurore ;
Et, jouet du destin, jouet de l’ouragan,
Mon enfance flotta vers un sombre océan ;
Et sans aucun ami, comme l’algue marine,
Sur un sol inconnu j’abordai pèlerine ;
J’abordai sur la rive, où l’homme, au bord des eaux,
Dispute au crocodile un lit dans les roseaux ;
Et je vis l’Occident, aux immenses savanes,
Les lieux embarrassés d’herbes et de lianes,
La fertile Vallée, occidental jardin,
Qu’arrose, dans son cours, le Nil Américain ;
Où la douce nature, en son exubérance,
Offre au pauvre orphelin une inculte abondance ;
Nature âpre et sauvage, aux refuges secrets,
Qu’ombragent de leur deuil les funèbres cyprès ;
Nature austère et belle, où Dieu parait plus grand,
Et qui semble un Éden au cœur de l’immigrant ;
Où l’on entend le soir, plaintifs anachorètes,
Les whip-poor-wills chanter dans leurs sombres retraites ;
Et là, je vivais seule ; et dès lors, je rêvais
De talent et de gloire et d’héroïques traits ;
Et j’explorais les bois ; je cherchais, dans mes courses,
Le chaste et froid cristal des solitaires sources ;
J’allais tremper mon cœur dans les larmes des lys ;
Je portais dans mon sein ceux que j’avais cueillis. —