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antoine calybite.


Bienheureuse, ô ma sœur, en ta fuite du monde,
Et ta vie au désert, et ta paix si profonde !
Tel un cygne alarmé, poursuivi des chasseurs,
Sur ses ailes d’argent regagnant les hauteurs,
Dans les grands lacs du Nord va chercher un asile ;
Sur les ondes d’azur, nage ou s’endort tranquille ;
Et doux chantre, abrité d’harmonieux roseaux,
Se bâtit, solitaire, un nid au bord des eaux…
 L’Ordre du Mont-Carmel, l’Ordre antique d’Élie,
L’Ordre des Carmes saints, où l’âme se délie,
C’est là que je voudrais, dans un esprit nouveau,
Pour n’être plus qu’à Dieu, me construire un tombeau ;
C’est là que je voudrais, dans les pleurs, la prière,
La sainte solitude et le silence austère,
Ne voir, ne respirer que du côté du ciel ; —
C’est vers toi que j’aspire, Ordre du Mont-Carmel !
Tes cellules sans nombre, et pourtant séparées,
Oui, j’habite en espoir tes cellules sacrées !
C’est toi qui recueillis, dans ta gloire autrefois,
Les chants mélodieux de Saint Jean-de-la-Croix ;
C’est toi qui, de nos jours, reçus la mélodie
Se répandant à flots d’une âme convertie ;
Tu fus, et te seras le refuge éternel
De tout aigle mystique, Ordre du Mont-Carmel !
L’Église a toujours eu les Beaux-Arts pour cortège,
Et l’on peut admirer ce qu’elle aime et protège : —
Salut, pieux artiste, au doux regard voilé,
Cœur profond, attiré vers un monde étoile ;
Mélancolique enfant, dont l’âme fut choisie
Pour exprimer des sons toute la poésie ;
Par toi, nous entendons, en des tons ravissants,
Les choses de l’esprit se traduire à nos sens :
Rêve, espoir, souvenir, chaque pensée intime,
Tous les soupirs du cœur, ton clavier les exprime ;
Il vibre à l’unisson, quand ton âme frémit ;
Il parle sous tes doigts, chante, pleure et gémit ;
Ton âme, en s’exaltant, le charme et l’électrise ;
Il s’ébranle avec toi, tressaille et sympathise !
Oh ! qui pourrait t’entendre et ne pas s’écrier :
Un souffle inspirateur agite ce clavier ! —
L’esprit, qui fait jaillir les hymnes des poètes,
Réveille les accords de ses touches muettes ;
Oh ! qui pourrait t’entendre et ne pas s’écrier :
L’esprit de l’harmonie habite ce clavier ! —
Au plus mystique essor élevant la matière,
Tu peux dans un arpège élancer ta prière ;
Oh ! qui pourrait t’entendre et ne pas s’écrier :
L’Ange de la prière anime ce clavier !