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Pour t’arracher du sein de Babylone en feu,
Roulant dans un flot d’or la parole de Dieu ?
Je te dirais alors : Quitte enfin cette ville ;
Fuis le trouble et le bruit pour le désert tranquille ;
Viens dans la thébaïde apprendre à triompher
Des passions qu’ailleurs on ne peut étouffer ;
Imitateur d’Arsène, émule de Jérôme,
Abandonne comme eux les voluptés de Rome :
Au cœur enthousiaste, à l’esprit exalté,
Il faut un abri calme, un refuge écarté ;
Il faut, pour l’apaiser, loin d’un monde sceptique,
L’oreiller de granit dans l’antre érémitique ;
Oui, c’est là que le cœur, brûlant d’un saint amour,
De la chair à l’esprit immole le vautour ;
Et sans mélange amer, et plein de quiétude,
Partage ton empire, ô douce solitude !
Fuis donc un siècle impie, à l’esprit agité ;
Fuis de ses faux plaisirs l’amère volupté ;
Pour n’aimer que Dieu seul, fuis le monde incrédule :
La plus sûre demeure est la sainte cellule !
Viens dans la solitude, asile de la paix,
Où Dieu révèle au cœur ses plus tendres secrets ;
Colombe, et cependant noble émule de l’aigle,
Que sur son vaste essor ton vol soudain se règle ;
Suis-le jusqu’au sommet qu’habite un Dieu caché :
Là-haut tu trouveras le repos tant cherché !
Ah ! ne prolonge pas ces inégales luttes ;
Les dangers sont trop grands pour que tu les discutes ;
La fuite est désormais le parti le plus sûr ;
Contre l’éclat mondain, cherche un asile obscur ;
Quitte la foule humaine et l’orageuse ville :
Le désert à ton âme offre un séjour tranquille ;
Sur la cime isolée où l’aigle fait son nid,
En s’approchant du ciel, l’âme se rajeunit !


le poète.


Adieu, ville d’argent, de poussière et de fange,
Où l’homme au poids de l’or s’évalue et s’échange ;
Où le talent modeste, où le Juste indigent,
Où la vertu se cache, — adieu, ville d’argent !
Salut, fleuves, forêts, lacs, déserts, solitudes,
Asiles interdits aux folles multitudes !
Salut, germes féconds, arômes voyageurs,
Fraîches brises du soir, amoureuses des fleurs,
Oiseaux, qui remontez le cours de chaque fleuve,
Jusqu’à la source vive où le bison s’abreuve !
Salut, Nature aimée, harmonieux miroir,
Où l’homme cherche à lire, où Dieu se laisse voir ;