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Héroïnes d’amour, fleurs de la solitude,
Quelle mère a connu votre béatitude ?
Les victimes du cloître ! on les compte en doutant,
On soulève en tremblant leur linceul éclatant ;
Mais on ne peut compter les victimes du monde :
C’est le séjour impur où l’infamie abonde !
Le monde est le théâtre, où des acteurs pervers
S’abordent poliment sous des masques divers ;
Et quand ils ont joué leur triste comédie,
Ils trouvent dans la mort un écho de leur vie !
Si le monde nous flatte, en son perfide élan,
Il faut, au nom du Christ, lui répondre : Satan !
Quand le monde indulgent nous loue et nous admire,
C’est que le Christ sévère est près de nous maudire !
  « Des amours malheureux ont peuplé le désert, »
Dit le monde, en louant la foule qui le sert ; —
Mais j’entends du désert la foudre au loin qui gronde :
« Des amours criminels ont effrayé le monde,
Effrayé la justice et peuplé les prisons !
L’amour, la paix, la foi, désertent les maisons !
Les regrets sont les fruits des plus heureux ménages !
L’intérêt a détruit la distance des âges !
Dans ses calculs cruels, l’hymen intéressé
Attache au corps vivant un cadavre glacé !
La jeune fille épouse un vieillard qui la dote,
Et dans ce riche époux trouve un jaloux despote !
L’Église, en gémissant, énumère en ces jours
Les crimes qu’ont produits tant de mixtes amours :
La perte de la foi, que suit l’apostasie ;
Les enfants abreuvés du lait de l’hérésie ;
Et la discorde intime et les malheurs sans nom,
Que sous le toit maudit suscite le Démon !
Le prêtre, avec douleur, — sans surplis, sans étole, —
Sur ces mixtes hymens prononce sa parole, —
Froide, aride formule accordée à des nœuds
Trop souvent contractés dans un accès fiévreux !
La foi n’allume plus ses lampes virginales ;
Le feu sacré s’éteint dans les âmes vénales !
D’un chaste et saint hymen, devant Dieu contracté,
Où sont les fruits bénis de la fécondité ? —
De ce grand Sacrement, que le monde profane,
D’un sacrilège hymen, rien de chaste n émane !
Ah ! sans doute l’hymen est un bonheur permis ;
S’ils sont unis en Dieu, les époux sont bénis !
Quand l’union se fait dans l’amour et la crainte,
Selon les rits sacrés, selon l’Église Sainte ;
Quand l’amour vient d’en haut, chaste et céleste feu ;
Quand ce feu de la chair se purifie en Dieu ;
Que l’épouse à l’époux est un mystique emblème ;
Que ce n’est qu’en tremblant qu’il l’admire et qu’il l’aime :